Mohamed Bourouissa, attend le petit groupe que nous sommes à l’entrée de son gigantesque atelier d’Asnières-sur Seine.
Il nous salue tous individuellement par une poignée de main chaleureuse, et nous prévient d’emblée : « j’ai fait la fête hier soir, il va falloir me pardonner si je vous parais fatigué ! »
Pardonné il l’est, là aussi d’emblée, tellement nous sommes heureux, chanceux et enthousiastes à l’idée de rencontrer cet artiste plasticien hors du commun, fan de BOOBA et de chevaux. Il a le don des grands artistes. Celui de savoir observer la Société par ses marges et ses pratiques collectives, en y plaçant au coeur la dimension humaine. Il sait la rendre belle.
Représenté par la Galerie Kamel Mennour, http://WWW.kamelmennour.com, il figure déjà dans les collections des plus prestigieux musées d’art contemporain du monde entier.
La visite se déroulera en deux temps, une explication des pièces sur lesquelles il travaille actuellement, et un échange autour d’extraits des vidéos et diaporama de photos qui ont fait sa notoriété.
En effet, en ce moment, il prépare simultanément trois projets. Dont une future exposition à l’horizon d’un an pour Los Angeles. Et un évènement très particulier à Arles avec l’enseigne Monoprix qui détient un magasin dont le 1erétage intégralement vide est dédié aux expositions. D’ailleurs, elle s’appellera libre-échange.
Les nouvelles pièces sont proches de celles de sa 1èreexposition institutionnelle « Urban Riders »l’année dernière au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris, mais les œuvres sont plus abouties au-delà des 9 vidéos.
L’artiste plasticien nous déchiffre son travail :
Un travail qui évolue constamment :
«Par exemple, il y a cette sorte de frise pour laquelle j’ai ajouté de nouveaux éléments comme du tissu et du cuir avec le harnais du cheval. Je travaille aussi davantage autour de la couleur. Tout en étant sur le même thème, je le fais constamment évoluer. Au départ j’ai fait beaucoup de photos des personnes rencontrées, puis j’ai cherché une façon de les présenter, c’est pour ça que j’ai réfléchi à la manière de les valoriser et que j’ai mis au point ce tirage sur le capot avec l’idée du reflet miroir qui me semblait intéressante. La première fois que j’avais présenté ce travail, à la Biennale de Lyon, les capots étaient présentés seuls et séparément, c’était le commencement du travail et de l’inspiration, puis petit à petit j’ai cheminé, je les ai assemblés pour former des sculptures, et pour finir, j’y ai incrusté les portraits en 3D des riders.»
Une nouvelle invitée, la couleur :
«Au départ pour l’exposition de Los Angeles j’ai travaillé sur des couleurs vives, mais je n’étais pas satisfait. Je trouvais que ça n’allait pas, donc j’ai atténué les nuances avec des couleurs beaucoup plus ternes. J’ai conservé les couleurs primaires par nature fortes comme par exemple le rouge mais je l’ai adoucie.
Je dessine des croquis, je développe, et ensuite parfois j’interviens avec Photoshop. J’aime aussi agir sur les vibrations des couleurs. Cette approche sur la couleur est vraiment nouvelle pour moi, et j’ai envie de l’approfondir. A l’origine, les choses sur lesquelles je travaille sont très brutes, mais ensuite elles deviennent très maîtrisées, j’aime aussi qu’il y ait quelque chose de subversif dans mes œuvres.»
La notion de temps est importante :
«Les pièces nécessitent un temps de réalisation long. Beaucoup d’entre elles nécessitent des croquis. Parfois, je travaille les pièces directement au sol mais une fois positionnées à la verticale ça ne fonctionne plus ou pas, alors je redécoupe, et je remets sur le mur ou inversement.
Le temps nécessaire pour réaliser une œuvre varie bien évidemment en fonction des pièces. Il est rare qu’elle soit réussie ou aboutie dès la première tentative. Souvent, il faut que je la reprenne mais en moyenne il faut compter plusieurs mois. Ça peut prendre 6 mois parce que je peux la modifier plusieurs fois, en la recoupant. Il m’arrive de faire des sortes de pauses en les laissant vivre dans l’atelier, je les observe sans les retoucher et puis je reviens vers elle.»
Mon inspiration, les musées, les rencontres :
« J’aime me rendre dans les musées ou dans les expositions pour trouver l’inspiration. Il y a quelques jours, je suis allé voir l’exposition de Vasarely au Centre Pompidou. J’ai été inspiré par son travail sur la couleur et sur la géométrie de la forme. Cette visite va continuer à alimenter ma réflexion. C’est important de sortir. Même si ce n’est pas obligatoirement transcrit directement et/ou immédiatement sur mes œuvres. C’est une contribution essentielle à ma réflexion, et pour être concret, cela peut aussi m’inspirer sur des formes nouvelles que je vais incorporer à ma pratique.»
« Cet atelier n’est pas seulement l’endroit où je réalise mes pièces, c’est avant tout un lieu où j’expérimente. J’ai beaucoup puisé dans mon fond de photos réalisées aux Etats-Unis, j’y ai fait beaucoup de rencontres, uniques, fortes, ma véritable source d’inspiration vous l’aurez compris, c’est les gens et leur histoire.
En ce moment je songe à utiliser mon fond de photos français même si je fais beaucoup allusion à l’histoire des États-Unis par rapport au continent africain, cela remonte à mon premier travail Phériphérique
Transition idéale, Mohamed Bourouissa commentera ensuite avec passion certaines photos et vidéos qui ont fait son succès :
Légende, All-In, Temps Mort, La valeur du produit, 23.08.08, Pas le Temps Pour Les Regrets, Le Murmure des Fantômes et Horse Day
Le premier tremplin qu’a connu Mohamed Bourouissa, à peine âgé de trente ans, après son long cursus d’études en Histoire de l’art à la Sorbonne et aux Arts Décoratifs, date de son exposition collective au New Museum de New York, lorsqu’il est invité en 2009 à l’exposition collective : The Generational : Younger than Jesus.
Il y expose une série de photographies choc, Périphérique, qui font se correspondre le réalisme des quartiers et les références à l’Histoire de l’art.On y distingue des groupes d’hommes en sweet-shirts et capuches assemblés dans une cage d’escalier, scène avec carcasse de voiture cramée ou couple mixte qui semble timidement s’apprivoiser dans une chambre. Ces clichés, crus et bien léchés à la fois, semblent avoir été pris sur le vif mais sont, en vérité, le fruit d’une très longue et minutieuse préparation. Des mises en scène réalistes, à deux doigts de l’explosion ou la rixe, s’appuyant sur une réelle réflexion. En effet, l’artiste a d’abord réalisé des dessins préparatoires, en puisant directement aux sources de la peinture classique, comme pour de la Flagellation du Christ de Piero della Francesca, ou pour le tableau la Liberté guidant le Peuple de Delacroix.
«C’est un travail sur les stéréotypes. L’intention directe de Périphérique était une représentation sociologique des cités mais à contre-courant des images vues dans la presse à la suite des émeutes en banlieue. Pour moi, c’était une manière d’interroger, d’apporter un décalage et surtout de faire du beau, de proposer ainsi une position subversive… »
Mohamed Bourouissa nous présente, non sans malice, sa vidéo All-Inavec le rappeur Booba qui a été projetée sur la façade de la Monnaie de Paris à l’occasion de la Nuit Blanche 2012. « Le Rap et le symbole de la Monnaie de Paris ont des codes similaires liés à l’argent et à l’idéologie libérale, évidemment cela n’a pas plu à tout le monde».
Il nous parle aussi de son travail au studio Fresnoyà Roubaix qui mêle cinéma et arts plastiques sous la direction du plasticien Alain Fleischer, au sein duquel il s’est initié aux différentes techniques et procédés décalés et collaboratifs de l’art contemporain.
Puis, nous passons un long moment à visionner Temps mort, qui illustre sa correspondance numérique sur fond de vidéo avec un rappeur français emprisonné pour trafic de stupéfiant.
Il s’agit d’un long échange qui a duré plus d’un an, à partir de SMS et MMS, de vidéo, de montage cut. Les images sont en très basse résolution et les textes rudimentaires sont envoyés depuis un téléphone portable. Mohamed Bourouissa propose de suivre la conversation, il donne ainsi ses instructions à l’homme reclus dans sa cellule. D’une plante verte à arroser à quelques pompes, l’évier et sa vaisselle, le quotidien y est montré comme si le temps était suspendu, tel un temps mort. La relation entre les deux hommes évolue au fur et à mesure de leurs échanges, le prisonnier devenant plus actif et s’appropriant presque la vidéo.
Notre visite s’achève avec le visionnage du film Horse Dayqui a été réalisé lorsqu’il était en résidence à Philadelphie, dans le quartier défavorisé de Strawberry Mansion, au Nord de la ville et dont la réalisation a marqué une étape décisive dans son évolution.
Il s’est intéressé aux écuries associatives de « Fletcher Street » qu’il a découvertes grâce aux images de Martha Camarillo, une photographe américaine. Territoire de réparation et de cristallisation des imaginaires, fondé par des cavaliers afro-américains, les écuries de « Fletcher Street » accueillent les jeunes adultes du quartier et offrent un refuge aux chevaux abandonnés. L’artiste s’est emparé de l’histoire du lieu, de l’imagerie du cowboy et de la conquête des espaces, et surtout a créé un lien unique avec la communauté locale.
Horse Day n’est pas seulement une vidéo mais s’accompagne d’un corpus d’environ quatre-vingts pièces qui traduisent la liberté et la richesse du langage plastique de l’artiste. Croquis sur le vif, dessins préparatoires, story-board du film, collages, encres, aquarelles relatent l’origine du projet et son élaboration. En regard de cet ensemble, sont présentés des portraits de cavaliers et les costumes des chevaux. C’est une métaphore du « tuning » des éléments de carrosseries sont agencés et deviennent le support des images du film.
Mille Mille mercis à vous Mohamed BOUROUISSA, http://WWW.mohamedbourouissa.com, pour ce moment privilégié.
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