1/ Bonjour Matchwithart, ou devrais-je plutôt dire bonjour Salomé, car depuis quelque temps tu ne caches plus ni ton prénom, ni ton visage. Comment t’es venue l’idée de faire « matcher » une œuvre d’art avec une tenue ?
Bonjour Marianne !
Factuellement, Match est né en 2018 mais je pense que l’idée était là depuis quelques années, avant même la genèse de matchwithart. Inconsciemment, j’ai toujours pris l’habitude de m’habiller en fonction d’un lieu, d’une sortie, d’un paysage, histoire de me « fondre » dans l’ambiance. De ce fait, il m’arrivait de faire des expositions en m’habillant en fonction des oeuvres mais sans chercher à l’origine à créer une symbiose. En parallèle, la même année que le lancement de cet instagram, je travaillais sur le sujet des réseaux sociaux dans le milieu de l’art et comment faire venir les publics dans les lieux culturels en les faisant passer de l’expérience digitale à l’expérience physique. J’ai même consacré mon mémoire de fin d’études à ce sujet, mais je n’avais jamais mis en pratique un concept qui pourrait participer à cela. Il fallait trouver un moyen de réussir à capter l’attention de quelqu’un qui serait sur son téléphone à faire défiler des photographies.
Au-delà de mon attrait pour l’art, ayant une double formation en art et en marketing de luxe, la mode a toujours fait partie de mes intérêts, elle est pour moi un moyen d’expression. Les artistes peintres choisissent une toile vierge pour s’exprimer quand les créateurs de mode choisissent un vêtement. Si l’aboutissement et la technique ne sont pas les mêmes, la démarche est sensiblement identique. Et puis un jour, alors que je me retrouve de façon pas si involontaire que cela, habillée dans les mêmes tons qu’une oeuvre d’Emily Ludwig Shaffer à la galerie PACT, on me fait la remarque que c’est amusant ce « camouflage » et on demande à me prendre en photo. J’avais enfin trouvé le moyen de réunir mes deux milieux, l’art et la mode, et de monter un concept qui pousserait les gens à s’intéresser à l’art.
Matchwithart est alors né !
2/ Peux-tu nous en dire plus sur le processus de sélection des toiles et celui des vêtements, qui sont certainement plus complexes que ce que l’on peut croire, pour obtenir “des matchs” si parfaits ?
Effectivement, c’est plus difficile que cela en a l’air. 99% du temps c’est l’oeuvre qui vient avant les vêtements donc la démarche est toujours similaire. Je fais une veille sur internet et les réseaux sociaux des expositions en galeries, musées, maisons de vente, autres lieux d’art. Je repère les oeuvres qui peuvent fonctionner avec ma démarche. Je prends toujours une certaine distance pour la sélection, pour ne pas laisser mes préférences artistiques prendre le pas et offrir une sélection neutre des expositions à découvrir. Ensuite je me rends sur place pour voir les oeuvres, parfois la couleur est différente que sur l’écran, le recul n’est pas assez important, un bureau se trouve devant, l’oeuvre est dans la vitrine. J’ai eu tous ces cas de figures donc je préfère anticiper désormais pour ne pas avoir de déconvenues !
Ensuite s’opère la recherche des vêtements, que je fais au cas par cas pour chaque oeuvre, je fais des moodboards pour comparer quelle tenue fonctionne le mieux ! C’est une démarche très longue parfois. Puis vient la photo ou la vidéo selon la production que je désire. S’en suit le traitement des photos, sélectionner la meilleure, retirer les « parasites » de la photographie comme un cartel, une prise électrique mais jamais en changeant la couleur de l’oeuvre.
3/ Pourquoi as-tu choisi d’être de dos ?
Plusieurs réponses à cette question ! Premièrement, quand j’ai lancé Matchwithart, c’était seulement une activité de plaisir que je faisais en dehors de mon travail donc il était important pour moi que je ne sois pas identifiable que ce soit physiquement ou par mon prénom et nom qui sont restés cachés durant très longtemps. Je pense que je manquais aussi de confiance en ce projet et donc je me protégeais en diffusant peu d’informations sur moi-même.
La seconde raison est que je ne dois pas être le point essentiel de la photographie, les personnes ne doivent pas s’arrêter sur la photo pour regarder mon visage ou ma silhouette mais remarquer la symbiose entre la tenue et l’oeuvre d’art. Je ne suis qu’instrument sur la photographie et je ne dois pas en être l’acteur principal. En montrant mon visage, le focus serait trop important sur ma personne, et le message que je désire transmettre m’en paraitrait brouillé. La dernière raison est que cela rajouterait une difficulté accrue. De dos, il est facile d’être satisfaite du rendu de la photographie, à part les cheveux et la pose, il y a peu de critères à prendre en compte. De face, le temps d’arriver à être satisfaite d’une photographie, entre le sourire, les yeux, etc, je préfère accorder ces précieuses minutes à la rédaction des légendes par exemple.
4/ Justement concernant les légendes, j’ai remarqué qu’au fil de tes publications, la légende des posts est de plus en plus pointue, et relève d’un véritable travail de recherche et d’écriture de contenu. As-tu envie de faire évoluer tes créations vers une approche plus curatoriale ? Je pense aussi aux réels qui demandent vraisemblablement davantage de préparation et de temps.
Le travail de recherche est effectivement important pour la rédaction des légendes. J’essaie au maximum de lire ou écouter des interviews d’artistes, de manière à être sûre de retranscrire le bon message. Je simplifie le vocabulaire pour le rendre accessible aux personnes non initiées du monde de l’art. J’essaie également d’y intégrer des anecdotes que le public ne trouverait pas en lisant seulement la présentation de l’artiste afin de lui donner les clefs pour voir l’approche différemment. Dans les projets futurs, j’aimerais pousser cette démarche, me lancer dans les vidéos, voire des podcasts pour développer le travail de recherche que j’effectue. Ce sont aussi des formats dont nous discutons avec les lieux avec qui je travaille pour évoluer vers une approche plus poussée où j’oserais prendre la parole, que ce soit pour expliquer mon ressenti, et continuer ce que j’entreprends en légende.
J’aimerais particulièrement développer cela autour des maisons de vente aux enchères, un milieu encore plus abstrait aux yeux des gens que les galeries. Prendre la parole ce n’est pas seulement informer, c’est aussi rassurer les personnes, leur dire « regardez, entrer dans une galerie ou une maison de vente, c’est facile et c’est pour tout le monde ». Moins les gens auront « peur » de franchir ce pas, plus ils se sentiront à l’aise et verront que l’art, c’est dédié à qui toute personne qui y est sensible et non pas à une catégorie de personnes.
Les réels sont effectivement devenus une part importante de Matchwithart. La présence sur les réseaux sociaux oblige à suivre les tendances, nous sommes nos propres patrons jusqu’à un certain point ! Les vidéos sont davantage mises en avant. Cela demande plus de réflexion, trouver l’idée de la transition, prévenir en amont les lieux culturels car cela demande plus de temps qu’une photographie, il faut s’assurer que les plans d’une séquence vidéo à une autre sont les mêmes. Le temps de réalisation est plus conséquent, le résultat est là mais demande des moyens supplémentaires. Il faut aussi trouver l’idée qui ne va pas détourner l’attention de l’oeuvre, ni la mettre en « danger », qui ne doit pas déranger la galerie ou l’artiste.
5/ Tu as créé une vraie signature, qui inspire fortement on va dire beaucoup d’autres comptes. C’est aussi une belle façon de faire découvrir des artistes et des expositions, en as-tu pleinement conscience ?
Sûrement pas assez diront mes proches ! Avec le recul, c’est toujours troublant de voir ce qu’on a accompli. Même si cela reste à une petite échelle, et que je n’ai en soi rien révolutionné, j’ai réussi à créer un « concept », une identité. Pour les gens, je ne suis même plus Salomé Monpetit, je suis Matchwithart. Quand on me croise, on me demande avec quelle oeuvre, je compte faire un match alors que parfois je suis juste habillée pour moi-même. Je pense que je prends conscience de la portée de ce compte quand les gens me disent qu’ils sont allés voir telle exposition suite à un de mes matchs, ou qu’ils me remercient pour la découverte. Et c’est là où est la plus belle récompense. J’adore aussi voir la réaction des artistes quand j’ai décidé de parler d’eux, de réaliser un post. C’est une grande pression d’écrire sur eux, de produire une photo, de rendre justice à leurs oeuvres.
J’éprouve un stress dès que je poste, j’angoisse d’avoir mal fait. Je n’ai toujours eu que des bons retours, finalement l’encouragement est dans les deux sens, j’essaie de montrer leurs oeuvres et eux m’encouragent à continuer matchwithart en étant réceptifs.
6/ D’ailleurs, d’où te vient cette sensibilité pour l’art ? J’imagine que tu es toi-même collectionneuse, quelles œuvres peut-on trouver chez toi ?
Ma passion pour l’art est née à force d’être emmenée dans les musées quand j’étais petite par mes parents ! Ils sont très sensibles à l’art et dans chaque ville où nous sommes allés, il fallait faire le plus de lieux culturels possibles. À l’époque, je me souviens que l’enfant que j’étais trouvait cela trop, alors que désormais c’est moi qui suis chargée du planning culturel quand on part ensemble. Inconsciemment, ces marathons d’expositions m’ont plongé très tôt dans ce milieu. Ensuite je me suis tournée vers des études de marketing plutôt axées dans le luxe, où j’ai réalisé que la forme la plus pure de cet univers, c’était l’art. Rien n’est plus unique qu’une oeuvre. J’ai vraiment une relation forte avec l’art, rien ne me transporte de cette façon. Découvrir une oeuvre, la sensibilité d’un.e artiste, c’est quelque chose à laquelle je suis devenue accro, ça me fascine toujours autant.
J’ai commencé à collectionneur des oeuvres d’artistes modernes comme Jean Coulot ou Luis Arnal que j’ai acheté chez mon mentor et galeriste, Pierre-François Garcier, ou des céramiques de Jean Cocteau achetées aux enchères, des photos de William Klein, et tout récemment une lithographie de Zao Wou-Ki.
Puis, je me suis aussi tournée vers des artistes plus contemporains comme Futura 2000, John Fou, des artistes africains comme Getahun Assefa Balcha ou Simphiwe Ndzube. Je vais tenter de soutenir au mieux les jeunes artistes contemporains dont j’adorerais avoir une oeuvre comme Cécilia Granara, Mario Picardo, Romain Bernini. J’essaie de le faire via la démarche des matchs dans un premier temps mais j’aime l’idée de m’entourer d’oeuvres au quotidien qui me procureront le même plaisir que j’éprouve dans une exposition et qui soutiendront la création.
7/ On parle beaucoup d’art dans cette interview mais il s’agit aussi de mode, quel.le artiste a selon toi un sens incomparable du style ? Un homme et une femme.
Ah question épineuse ! Certains artistes ont une signature vestimentaire comme JR, lunettes de soleil et chapeau ou Yayoi Kusama avec ses robes à pois. Mais si je pense sens du style, je dirais David Hockney avec ses tenues de dandy coloré. Il ose depuis ses jeunes années le pull rayé avec le pantalon vert, porte des vestes à carreaux et des noeuds papillons et va jusqu’à assortir ses cravates aux tissus des fauteuils. Il est une peinture à lui tout seul !
Les lunettes rondes sont également devenues sa marque de fabrique. Son style a largement inspiré l’univers de la mode, c’est une silhouette reconnaissable qui ne peut faire que sourire !
Pour les femmes, il y a bien sûr l’incontournable Frida Kahlo mais je citerais Louise Nevelson que j’ai découverte lors d’une exposition chez Kamel Mennour en 2021. C’était une artiste qui cultivait l’utilisation du noir comme couleur principale de ses oeuvres mais son style était loin d’être monochrome. Elle portait turbans et foulards noués sur la tête, des amples manteaux bordés de fourrures et brodés par-dessus des blouses ornées de boutons en perle et de kimonos bariolés. Son visage était habillé de longs faux cils tout aussi reconnaissables que son style. Elle fabriquait parfois ses propres bijoux imposants, comme des mini-sculptures et donc un prolongement de son travail. Finalement elle a créé environ 200 bijoux qui font désormais parties de collections particulières et publiques et a même inspiré la marque CELINE qui a créé deux bijoux en hommage aux bijoux originaux de Nevelson en 2021 sous la direction d’Hedi Slimane. Quand je dis que le milieu de l’art et de celui de la mode ne sont pas si éloignés…