Lise et ses travaux récents sur céramique
Lise et ses travaux récents sur céramique

Portrait d’une jeune artiste : Lise Stoufflet dans son atelier au Houloc

Le champ lexical de l’Art reprend parmi ses fondamentaux la notion d’univers de l’artiste, pourquoi alors prendre le risque de lancer la présentation du travail de Lise Stoufflet par ce terme si coutumier ?

Car l’univers de Lise est irrésistible, immanquable, fatal.  Elle nous embarque dans un monde étrangement singulier dont la beauté dérangeante ne peut nous laisser indifférents.

Ses toiles intriguent et interrogent. Que s’est-il donc passé ? Elle-même dit ne pas savoir et semble sincèrement douter d’en être l’auteure et l’instigatrice.

Issue d’un cursus initialement scientifique, lorsqu’elle intègre l’atelier de Philippe Cognée aux Beaux-Arts de Paris, elle ne se projette pas comme artiste plasticienne mais plutôt comme illustratrice. Le dessin est essentiel, elle lui consacre ses deux premières années décidant de basculer vers la peinture à mi-parcours.

Cette approche classique, car aujourd’hui encore elle passe par le dessin et le croquis avant de s’attaquer à la toile, donne une intensité supplémentaire à son écriture narrative, également renforcée par l’utilisation de la peinture à l’huile.

Chaque composition est une courte histoire dont on ne sait si elle est une réalité fantasmée ou une fiction réaliste. Telle la funambule en équilibre sur le fil délicatement tendu entre deux rives, elle évolue entre les deux perceptions. Jamais elle ne bascule et demeure ainsi suspendue au-dessus de l’entre-deux : l’innocence et la cruauté, l’intemporel et l’universel, la vie et la mort, la beauté et la laideur …

Par ses peintures énigmatiques qui surprennent et déstabilisent, Lise nous transporte dans un espace inconnu et inédit qu’elle qualifie elle-même « d’une coquette laideur, ou salement charmant ».

Bien que les thèmes abordés tels l’enfance, les animaux, la nature soient aisément identifiables et perceptibles, elle les enveloppe d’une atmosphère résolument troublante. Tous nos sens se mobilisent pour s’approcher de cette menace qui résonne en nous, car elle fait délicieusement appel à nos angoisses et nos fantasmes les plus refoulés et secrets.

On devine son goût pour la psychanalyse, le rêve et la notion d’inconscient collectif. Son univers fait appel aux souvenirs et à l’intime, mais elle ne cherche pas à se raconter. Elle fait intentionnellement appel à nos émotions, à nos souvenirs et même souvent à nos obsessions car c’est par le prisme de notre vécu personnel que nous allons donner un sens et une histoire à l’image.

Alors que le sujet est précis, l’artiste accorde au spectateur une grande liberté d’interprétation, qu’elle consent tantôt avec amusement, tantôt avec gravité. C’est le non-dit qui l’intéresse.

Un autre symptôme de ses allers-retours entre la fiction et le réel est sa capacité à sortir ou prolonger le motif hors du cadre pour déborder, aller au-delà des contraintes physiques imposées par les contours de la toile. L’image change alors de statut pour devenir un objet propice aux installations. Cet objet auquel elle s’intéresse par le biais de la céramique, discipline qu’elle a commencé à expérimenter et à introduire dans ses compositions, et qui la mène petit à petit vers les vitraux, prochaine étape de son travail en perpétuelle évolution.

On aime aussi les traces ou encore les indices qu’elle sème comme des petits gris-gris, tels des rubans, des ficelles, des mèches de cheveux nouées. Ceux-là mêmes qui lui permettent d’envahir des espaces et des volumes plus grands. Ces petits objets qu’elle extrait, qu’elle duplique ou qu’elle prolonge au pinceau sur le mur, selon sa volonté de semer le trouble, de manipuler et malmener la notion de frontière entre le réel et le décor.

Narratifs et grinçants les tableaux de Lise semblent inspirés de quelques contes cruels de nos enfances. Ils évoquent souvent la féminité et la condition de la femme, dans des scènes insolites et à contre-courant. Elle semble souhaiter heurter les codes et chambouler l’ordre établi, remplacer les héroïnes et les naïfs, maintenir les hommes à l’état de petits garçons.

La solitude reste un thème central, car « tout le monde est seul dans sa tête ». Pour lutter contre cette peur naturelle, Lise représente des personnages qui se ressemblent, jamais seuls, non seulement ils sont habillés de façon identique, mais ils ont les mêmes visages, les mêmes silhouettes, ils partagent des traits communs qui les unissent, une espèce de clonage qui devient la norme pour mieux immuniser et protéger.

Cette approche métaphorique de nos pensées et de nos âmes se construit avec un choix de couleurs devenues fétiches, des teintes vives et fraîches, avec une prédominance du bleu, et une « affection » pour les pastels.

Lise n’est pas seulement une artiste plasticienne talentueuse, elle est aussi une personne généreuse, à plusieurs titres.

C’est elle qui est à l’origine de l’atelier d’artistes « le Houloc » situé à Aubervilliers, créé avec une poignée d’artistes, il y a un peu plus de deux années. « C’est ma nouvelle petite famille, c’est très inspirant, très rassurant, comme une solitude accompagnée, je reste seule dans ma bulle pour créer mais avec des gens autour ».

C’est encore elle, que l’on retrouve parmi les membres fondateurs du groupe d’artistes « LE COLLECTIVE » fratrie qui organise des expositions dans des lieux désaffectés et oubliés mais aux qualités narratives et esthétiques hors du commun : l’église de la Salette en 2018, et plus récemment pendant ART-O-RAMA en Aout dernier à Marseille, les trois bunkers de l’Escalette nichés dans le massif des calanques.

http://www.lise-stoufflet.com