Diplômée en architecture et Maître d’Œuvre de l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Malaquais, et d’un Master Design de l’Université Aalto d’Helsinki, Sophie Dries s’est également formée à l’École du Louvre en Art Contemporain. Lauréate des Phaidon World best Interior Designers et AD 100 Europe, elle vient de recevoir le Prix “AD Land-Rover” pour l’année 2022 dans le classement des AD100, mais aussi le “10 young architect” décerné par le magazine americain Cultured mag.
Après avoir collaboré avec des Bureaux d’Architecture de Design d’Intérieur de Luxe, tels que les Ateliers Jean Nouvel, Pierre Yovanovitch ou Christian Liaigre, Sophie Dries crée en 2014 son Studio situé à Paris et Milan en 2018.
Alors que ses propositions se situent entre design d’objets et architecture d’intérieur, Sophie Dries imagine et pilote des projets de construction et de rénovation pour des particuliers comme son travail sur l’appartement de la cinéaste Zoë Le Ber au dernier étage de l’Hôtel Particulier d’Aligre à Paris, mais aussi pour des boutiques, comme celle du jeune fleuriste Arturo Arita rue Jean-Jacques Rousseau, ou du créateur de chaussures Michel Vivien au Faubourg Saint-Honoré, et plus récemment de l’éditeur objets pour la maison sur le thème de la méditerranée, Trame rue du Temple.
Elle œuvre avec passion, détermination et une grande liberté depuis des chantiers de construction jusqu’aux plus infimes détails de résidences privées et d’hôtels à Paris, Milan, et en Australie. Il s’agit souvent de véritables scénographies et mises en scène de lieux de vie ou de décors exceptionnels.
En 2015, Sophie Dries a participé à la Résidence d’Architecture de la “Jorn Utzon Foundation” dans la Villa Can Lis à Majorque où elle y a initié sa collection “Traces” de mobiliers, d’objets et de tapis. Car Sophie Dries aime aussi créer des collections de mobiliers, d’objets et de céramiques en Éditions Numérotées dont on reconnaît la signature.
Entre luxe et matière brute, dans une quête expérimentale sur les matériaux traditionnels alliant des lignes radicales et les formes primitives, la jeune architecte designeuse collabore toujours avec des artisans d’exception, et propose un design audacieux qui relie les éléments d’aujourd’hui aux techniques ancestrales, et fait échos aux sciences comme la Géologie et sa Chimie, l’Archéologie ou l’Astronomie pour lesquelles elle s’est toujours passionnée.
1/ Nous nous sommes rencontrées en Mai 2020 à la Galerie Perrotin lors du vernissage de l’exposition personnelle « Nature loves to hide » de l’artiste mexicain Gabriel Rico, j’ai immédiatement saisi ton intérêt, j’ai plutôt envie de dire ta curiosité pour l’art contemporain. Quelle place occupe-t-il dans ton métier de designeuse ? Et Comment fais-tu le lien avec tes projets ?
Oui en effet, je fréquente les galeries et les musées depuis mes études en art contemporain à l’École du Louvre, ce qui m’a permis dans mes projets d’architecture d’intérieur de conseiller pour l’achat et la mise en espace des œuvres d’art parfois même commandées in situ. La plupart de mes clients sont des collectionneurs ou s’intéressent à le devenir.
Parfois, on dessine un espace pour une œuvre majeure de la collection du client et les fonctions techniques viennent ensuite en second plan. Dans tous les projets, les espaces et la circulation dans ceux-ci sont pensés avec des axes de vision qui deviennent des positions idéales pour des œuvres. Le Corbusier parlait de la “balade architecturale » comme un travelling de cinéma dans une maison.
J’ai toujours été également très nourrie dans mes créations de design par le travail des artistes, l’architecture est un art secondaire ( comme le cinéma qui est le 7e), et elle se nourrit de tous les autres arts et notamment des arts primaires comme des arts plastiques.
2/ J’ai lu dans une interview datant de mars 2021 publiée dans le Magazine NUMERO que « ton style n’est jamais dicté par une recette préconçue, mais qu’il est toujours influencé par l’unicité́ de chaque rencontre », tu cites alors Brancusi “l’Essence cosmique de la matière ».
Mais concernant les artistes, n’est-ce-pas plus compliqué, n’as-tu pas des coups de foudre absolus pour le travail de certains plasticiens, ou des amitiés fortes qui t’inciteraient à les proposer dans plusieurs de tes projets ?
Bien sûr, pour l’art je suis fidèle à mes goûts dans le temps et aux artistes (souvent jeunes) dont je soutiens le travail.
Là où je n’aime pas me répéter et offrir une réponse préfabriquée, c’est pour les espaces que je crée comme de la haute couture sur chaque personne. Car ils sont chaque fois dans un contexte différent et pour une personne unique. Je dis souvent que : faire la maison de quelqu’un c’est un peu faire son portrait ( réaliste ou fantasmé ).
3/ Comment fais-tu pour choisir et intégrer tel objet ou telle œuvre, tableau ou sculpture ? S’agit-il d’instaurer un dialogue ? Y-a-il une hiérarchie de valeur entre l’espace servant d’écrin sur lequel tu interviens et l’œuvre ? Est-ce tout simplement purement décoratif ?
L’intégration ou en tout cas, la place de l’art dans un espace privé ou public est très important dans mes projets.
Soit le client a déjà l’œuvre et on la positionne tout de suite dans le plan pour créer la volumétrie et la circulation autour. Mais jamais en mimétisme il ne s’agit pas de faire correspondre les couleurs ou les matières car une œuvre n’est pas objet de décoration que l’on phagocyte. Elle a son autonomie et doit vivre en dehors de l’espace, de même que celui-ci doit vivre même avec une autre œuvre.
Soit le client n’a pas encore d’œuvre mais on prévoit des emplacements pour celle-ci, et souvent on engage une discussion pour l’acquisition de certaines pièces.
En effet, pour le shooting final on fait un stylisme permettant au client de voir ce que serait son intérieur “total look” avec la touche finale des objets et de l’art; très souvent le client garde l’ensemble après la cession photo.
4/ Les grands noms du début du XXème Siècle qui t’ont marquée sont Le Corbusier, Frank Lloyd Wright ou Alvar Aalto et sa femme Elissa.
Ils avaient cette même vision d’ensemble de l’espace car ils dessinaient tout, absolument tout, du bâtiment au mobilier, des luminaires aux tapis d’intérieur. Toi-même tu t’inscris dans cet état d’esprit, tu crées des objets de décoration et des céramiques. Dans quelle mesure, trouves-tu ton inspiration dans l’histoire de l’art ?
Absolument, je dessine aussi bien des petits objets comme les poignées de placard, la vaisselle, ou le mobilier plus imposant types canapés ou tables, que les espaces intérieurs parfois sur des milliers de mètre carrées comme les hôtels. Pour moi, il n ‘y a pas de distinction entre le métier de designer et celui d’architecte, seulement un traitement de l’échelle.
Nombre d’artistes qui ont une approche architecturale de leur travail de sculpture, d’installation ou de dessin m’inspirent directement comme Richard Serra, Gordon Matta Clark, Dan Graham ou Sol Lewitt. J’ai d’ailleurs eu la chance de séjourner dans la maison de celui-ci sur la côte Amalfitaine, et ressentir ce que c’est de vivre quotidiennement avec ces wall painting.
Les peintres comme Peter Doig, Michael Armitage, ou mes amies Giulia Andreani ou Ana KarKar dont j’ai récemment acquis le travail, m’inspirent énormément sur le travail des lignes mais surtout des couleurs. Le travail entre mobilier et sculptures comme Franz West, Isamu Noguchi, ou Donald Judd.
5/ J’ai en tête ta récente collaboration que je qualifierai d’insolite avec Garagisme pour qui tu as réalisé un accessoire automobile, “Monolith”, un pommeau de levier de vitesse en béton inspiré par les formes archétypales des sculptures de Brancusi et reprenant le design de la géométrie industrielle des Tétrapodes en béton. Comment sélectionnes tu les dossiers sur lesquels tu as envie de travailler ? Y a-t-il un fil conducteur ?
La plupart des collaborations viennent d’amitiés préexistantes ou le sont parfois ensuite, mais ce sont toujours des rencontres humaines.
Le fondateur de Garagisme est un ami et l’un de mes premiers clients, j’ai dessiné un loft Paris pour lui en 2015. De même pour le fleuriste Arturo Arita dont j’ai fait la boutique en 2020, entre créatifs on parle aussi le même langage donc les décisions de projets se prennent assez naturellement.
C’est pareil avec les artisans avec qui je collabore c’est avant tout une rencontre, une visite d’atelier, une conversation, ensuite cela devient un projet d’objet ou de meuble. Dans tous ce que nous entreprenons, la part « humaine » est la plus importante et c’est la clé des bons projets.
Donc il n’y a pas de plan préconçu et je ne sais pas quel sera mon prochain projet mais toujours autour des savoir-faire et l’expérimentation des matières.
6/ Pas très éloigné de l’art, il y a l’artisanat, qui est au cœur de tes créations, pour lesquelles tu as recours aux meilleurs artisans, je pense par exemple aux maîtres verriers de l’île de Murano, pour l’excellence de leur savoir-faire mais aussi pour donner naissance à des créations particulièrement originales et exceptionnelles dans l’alliance des matériaux. Pourquoi est-ce si important ?
Pour moi, c’est le plus important car déjà il faut permettre à ces métiers de perdurer d’être transmis et diffusés, mais aussi de se réinventer avec des sujets contemporains. Et ensuite car c’est ce que j’aime le plus : aller à la rencontre des ateliers de ceux qui font naître réellement nos idées à la réalité.
Je travaille beaucoup en Italie avec les verriers de Murano pour mes collections avec la Galerie Nilufar que ce soit des miroirs, vases, luminaires, mais aussi dans les Pouilles avec un atelier de papier mâché qui restaurait historiquement des statues d’église et qui a modernisé sa pratique en collaborant avec des designers, paper factor avec qui je fais une partie de mes lustres pour Kaia lighting editions.
Et bien sûr avec les marbriers de Carrare, des artisans du cuir, du bronze, etc… En France, je travaille avec un petit atelier parisien depuis mes débuts et nous faisons des objets en bois, plâtre, métal, etc… Pour les textiles c’est avec l’Inde et la Chine que nous faisons des tapis nous procédons comme à l’époque de la route de la soie.
7/ Quels sont les artistes contemporains qui t’inspirent le plus ?
J’évoquais mes amis Giulia Andreani, Ana Karkar, Benoît Maire ou encore Laurent Grasso, mais j’admire aussi beaucoup le travail d’artistes de l’expérience comme Gisele Vienne, Tino Sehgal, Anne Imhof, Pierre Huyghe, Philippe Paren, ou Matthew Barney. J’ai récemment acheté des pièces d’un jeune duo bruxellois Deborah Bowman ou encore, découvert Ancra Ursuta.
8/ Que pouvons-nous te souhaiter ? La conception d’un musée ? Idéalement dans quelle ville serait-il situé ?
Oui bien sûr dessiner un musée est un rêve d’architecte, mais que ce soit pour l’art ou simplement pour la méditation un espace sans fonction c’est le rêve absolu, la forme spatiale pour elle-même simplement. Et dans un désert ou un lieu hors de toute civilisation, peut-être même sur une autre planète, comme le parfum que je crée en ce moment et qui viendrait du cosmos.