2 ème Édition de la Résidence d’artistes à l’Hôtel de Craon de La Rochelle portée par le Fonds de dotation Encore! du Groupe Chessé

Très heureuse d’avoir accompagné pour la deuxième année consécutive le Fonds de dotation Encore! et sa Présidente Elyssa Sfar, porté par le Groupe Chesse.

Cinq nouveaux artistes ont été sélectionnés par un Jury professionnel réuni autour d’Elyssa Sfar. Celui-ci était composé de Doria Ardiet Chargée des Arts plastiques à la Ville de La Rochelle, Damien Cadio professeur à l’École des Beaux-arts de Nantes représenté par les galeries Galerie C et Gerhard Hofland, Devorah Lauter Journaliste en art, Georgia Russell artiste plasticienne représentée par la Galerie Karsten Greve, Elora Weill-Engerer critique, commissaire et historienne de l’art, Marianne Dollo art advisor et curatrice.

Depuis le 15 avril, dans le cadre de la 2ème Édition de la Résidence d’artistes du Fonds de dotation ENCORE ! conçue comme un espace de création et de recherche éphémère, cinq jeunes artistes de différentes nationalités, Raphaëlle Benzimra, Jack Dunnett, Jean Gfeller, Marie-Cécile Marques, et Gongmo Zhou ont installé, au sein du magnifique Hôtel de CRAON, leur atelier.

Ils ont ensuite été invités à déployer les œuvres réalisées In Situ pour composer une exposition. Si celles-ci sont de natures diverses et relèvent d’univers bien différents, on y distingue des inspirations communes aux motifs récurrents d’ordre thématique ou esthétique tels que la solitude, le silence, l’intime, la violence, la trace.

POINTS DE FUITE est le titre à double sens de cette exposition collective. Emprunté au champ lexical de l’art, il fait référence au point imaginaire vers lequel toutes les lignes d’un tableau semble converger en aidant le spectateur à mieux le regarder via ses perspectives, mais il est également une allusion à l’histoire du lieu, l’hôtel de police qu’il fût, en reprenant l’idée de l’évasion.

Car, si l’art est souvent une question de représentation fidèle, rejouée, ou allégorique de la vie, il est avant tout une affaire d’évasion. Imaginée de mille façons, cette échappée de notre monde prosaïque vers une réalité plus fictive mais fréquemment plus agréable, est à n’en pas douter, au centre du propos de ces jeunes plasticiens.

Ainsi, nous convient-ils, par l’expérience esthétique des récits protéiformes et illustrés émanant de leurs œuvres, à regarder différemment ou encore mieux regarder les caractéristiques de l’Humanité, comme un tendre encouragement de réinterprétation de la réalité, au point de nous faire douter de la matérialité de son existence.

Chacun, des personnages quasi statutaires de Jean Gfeller murés dans leur mélancolie, des silhouettes fantomatiques fondues dans le reflet de portes de Gongmo Zhou, des héros mythiques et victorieux de Raphaëlle Benzimra, des figures colorées et pittoresques de Marie-Cécile Marques, des protagonistes silencieux des paysages poétiques et introspectifs de Jack Dunnett, éprouve et questionne notre regard dans l’incarnation de notre alter égo fictif.

Ce mélange d’écritures, aux allures d’archétype du lien entre l’Homme et sa destinée, s’apparente à un carnet de voyage aux effets cathartiques dans sa célébration par sa simplicité, tant de l’imperfection que de l’impermanence de nos états.

A votre tour, chers visiteurs, de vous évader de votre quotidien voire de vos préjugés, en saisissant vigoureusement l’esprit de ces invitations artistiques aux allures initiatiques. C’est en traversant chacun des espaces, avec votre esprit curieux et bienveillant, que vous pourrez découvrir ce qu’elles ont de commun, et de deviner, peut-être, le message, certainement incomplet mais sûrement révélateur de vous-mêmes, qu’elles vous adressent.

Quelques informations sur les artistes :

Jean GFELLER est né à Genève en 1996, après une formation de design graphique en Suisse, il intègre l’École des Beaux-Arts de Nantes au sein de l’atelier de Damien CADIO, qu’il considère comme son mentor, et obtient son diplôme en 2021.

Son travail a déjà été exposé à plusieurs reprises, notamment par les galeries parisiennes Maïa Muller et Dilecta.

Bien qu’absolument peintre, le travail de Jean GFELLER se situe toutefois aux frontières des arts numérique et photographique, alors qu’il puise son inspiration dans un dossier d’images qu’il collectionne depuis plusieurs années, qu’il réinterprète et réassemble dans des compositions personnelles dont le fil conducteur semble être le thème de l’Homme face à sa solitude.

Microfictions ou micro-narrations, ses peintures se situent dans des intérieurs dépouillés, archétypes d’endroits familiers mais impersonnels dotés d’une décoration réduite à l’essentiel, et décrivent des personnages aphasiques, dépourvus de toute relation au temps ou à autrui.

Des pièces privées de la lumière du jour, puisque les fenêtre sont des posters en trompe l’œil.

Des êtres, prisonniers d’eux-mêmes, évoluant dans un huis clos quelque peu étrange, qui paradoxalement n’effraie pas complètement le spectateur, et l’incite plutôt à l’interroger voire le surprendre.

Mais aussi, à accepter ces figures marginales, clonées, mélancoliques, anxieuses.

Un paysage de personnages quasi statutaires, dans leur profonde solitude, qui pourtant, grâce à quelques tendres détails, comme les souliers à bouts arrondis, ou des mains qui se frôlent, conservent un léger signe d’humanité.

Récits en pointillés façonnés avec application, par un cadrage précis de la composition, une palette de couleurs neutres et sobres, presque artificielle, des fonds de toiles colorés oranges ou roses pour compenser et faire vibrer les gris froids, des superpositions quasi infinies de couches picturales épaisses et nerveuses, des lignes de fuite cloisonnant le champ de la toile, et surtout des titres énigmatiques. On aperçoit quelques repentirs, autre message subliminal de l’artiste à notre attention, finalement enclin à nous rassurer quant à l’aspect transitoire de nos états d’âme.

Les geôles et cellules de dégrisement de l’Hôtel de CRAON, qui a été le commissariat de police de la ville de La Rochelle de 1954 à 2017, sont en parfaite relation avec le thème de l’enfermement et de l’isolement chers à l’artiste.

Raphaëlle BENZIMRA est née à Paris en 1999, diplômée de l’École des Beaux-arts de Paris en 2023 avec les Félicitations du Jury, elle y a étudié la peinture et la gravure au sein de l’atelier de Djamel Tatah.

L’artiste trouve principalement son inspiration dans l’art médiéval et renaissant en explorant des thèmes sacrés dans leur représentation de la violence et de gloire de l’Homme dans sa quête de richesse et d’élévation. Elle associe les mythes et l’iconographie biblique aux identités occidentales contemporaines. Ses peintures réunissent une profusion de détails ornementaux et de couleurs très vives, avec une construction très maîtrisée de lignes et de plans.

La narration très présente est très dense, tant dans l’illustration de textes anciens comme Le Paradis Perdu, la Bible ou Le Cantique des Oiseaux, que dans celle d’un combat de boxe.

En effet, Raphaëlle BENZIMRA pratique la boxe, elle s’est emparée de cette discipline à haute symbolique, et la retranscrit dans ses tableaux tant dans sa représentation visuelle, que dans sa personnification allégorique.

La figure du boxeur incarne la puissance, celle du héros, et devient la métaphore du combat intérieur de tout un chacun. Une transposition originale de la pérennité des aspirations humaines, leur universalité et leur résonnance à l’époque contemporaine.

Raphaëlle BENZIRMA aime les mosaïques byzantines aux couleurs resplendissantes, les miniatures mogholes aux détails luxuriants, les peintres primitifs italiens humanisant les figures sacrées, qui se croisent dans son travail avec des références plus contemporaines comme l’univers gangster du cinéma, dont les films de Takeshi Kitano ou la série napolitaine Gomorrah.

Pour ce projet de Résidence à l’Hôtel de Craon, elle a décidé de réaliser une série de petits formats et d’aller ainsi à contre-courant des espaces particulièrement vastes mis à disposition, tout en profitant de la lumière traversante particulièrement éclatante

Sa pratique de petits tableaux à la tempera (technique très ancienne de peinture utilisant le jaune œuf, émulsion naturelle, comme médium pour lier les pigments) renoue avec la tradition de la miniature, caractérisée par l’abondance de détails, l’association d’un dessin précis et des couleurs pures. En puisant les éléments de ses œuvres dans sa réalité quotidienne, l’artiste ancre le spectateur dans l’aspect factuel du tableau, tout en le renvoyant au mythe par certains composants picturaux, et s’amuse de cette iconographie à la signification plurielle.

Une grande attention est prêtée au détail et aux couleurs très vives « qui allument le tableau » et s’opposent à la rigidité des personnages empreints de violence. La peinture est diluée, translucide et brillante, alors que le tableau s’est construit en une seule couche, fragment par fragment, souvent directement dans le détail, sans méthode précise, jusqu’à ce qu’il s’assemble comme une mosaïque.

Né en 1993 à Yueyang, Gongmo ZHOU est un peintre chinois, tout récemment diplômé de l’École des Beaux-Arts de Nantes – en 2023 – après avoir obtenu une licence à l’Académie Centrale des Beaux-Arts de Pékin.

Installé en France depuis 7 ans, Gongmo ZHOU a déjà été invité à participer à plusieurs expositions collectives aux États-Unis, en Belgique, et en France.

Le reflet, motif récurent dans l’Histoire de l’art, est au cœur de son travail.

Il interroge la question des interfaces qui trouve sa source dans l’omniprésence des écrans.

L’éloignement de sa famille avec laquelle il communique par écrans interposés, depuis plusieurs années, l’a incité à réfléchir plus largement au rôle de l’image dans nos sociétés mondialisées, en tant que compensation de l’absence physique.

Ses peintures montrent cette absence du corps et présentent des états de visibilité tronquée et d’imperceptibilité prégnante. Elles sont souvent issues de photographies, comme ici, pour lesquelles Gongmo ZHOU a arpenté les rues de La Rochelle et sélectionné les portes et façades les plus inspirantes, dont celle du Bar André, pour réaliser ce corpus de 9 grands tableaux.

À l’origine symbolisant le divin, le reflet confère un aspect illusionniste au sujet. Tel un phénomène optique aux effets miroirs il renvoie la lumière, et permet au peintre de jouer toutes les étapes du flou au net, de l’ébauche à la fidèle et parfaite représentation. Il autorise le mystère.

L’artiste, dans la recherche de ce jeu réflecteur, laisse apparaître comme un hors-champ, redoublant la vision de l’espace, et enrichit ainsi la géométrie de ses compositions. Il agrandit notre point de vue, ou plutôt nous en offre un autre. Cet effet vient redoubler les innombrables rectangles dont les tableaux sont constitués. Cette organisation géométrique de l’espace, à laquelle s’ajoute un travail subtil sur les ombres, est saisissante.

En excellant ainsi sur l’agencement des champs picturaux, l’artiste parvient à la parfaite représentation du juste équilibre entre l’illusion de la profondeur et l’affirmation de la planéité du tableau. C’est bien cet effet illusionniste de perspective qui permet la rencontre harmonieuse du point de fuite en lumière et de la silhouette floutée dans la pénombre.

L’effet miroir est également utilisé comme élément de décor, une poignée, une sonnette, des rivets, et permet d’insérer d’autres détails augmentant l’incidence hyperréaliste de la peinture. En réalité, cet effet miroir est souvent le point focal de l’œuvre, et rend son observation plus dynamique, alors que le flou des silhouettes apporte quant à lui une certaine sensualité en donnant vie et mouvement. Pour capturer cet instant fugace, ou du moins la sensation qu’il laisse derrière lui, le jeu de la lumière et de la couleur reste uniquement concentré sur certaines zones.

La texture des pigments est palpable, le choix des teintes aux nuances et dégradés de gris concourent à ressentir le caractère souple de la peinture à l’huile voulu par l’artiste pour explorer, selon ses mots : « l’entendue des frontières et des relations spatiales entre flou et net, virtuel et réel, intérieur et extérieur dans les images ».

Marie-Cécile MARQUES est une artiste plasticienne pluridisciplinaire, diplômée de l’École des Beaux-arts de Paris en 2021 (atelier Nina Childress), et des Gobelins section graphisme en 2005.

Dotée d’un esprit créatif hors du commun et d’une énergie inventive particulièrement prolifique, elle voit et ressent la vie comme un film en badinant sans limites et sans contraintes avec ce qui se présente à elle. À l’instar de Romain Gary, qui a écrit sous pseudonyme, et qu’elle cite quand on l’interroge sur son rapport à ses créations, elle agit comme si elle était plusieurs personnes. Les idées foisonnent sans répit, s’entrechoquent et donnent naissance à des œuvres singulières et sensibles, très colorées pour apporter de l’émotion.

Boulimique à souhait, elle revendique son statut « d’artiste appropriatonniste » c’est à ce titre qu’elle a créé un « petit musée des inspirations », qui accueille photos, extraits de presse et de catalogues, cartes postales, échantillons divers.

Le tour de force de Marie-Cécile MARQUES, est de réussir avec un naturel désarmant à créer un monde artistique à part entière, au sein duquel, à nul autre pareil, cohabitent des œuvres protéiformes : sculptures, installations, mais aussi bien sûr, peintures et dessins. Elle vous embarque dans sa tendre rêverie POP, dans son cosmos personnel nation infinie de l’imaginaire.

Elle ne recherche pas la virtuosité dans l’exécution, mais le frisson et l’exaltation. Elle est bien plus qu’une artiste, elle est une conteuse, qui créé des territoires fictionnels où la magie opère.

Elle y ingère des images de l’actualité ou de son quotidien pour régurgiter un magma organique où se côtoient l’extraordinaire, le banal mais aussi les références à l’Histoire de l’art.

En pénétrant son atelier, le choc visuel est immédiat, face à vous se hisse un ensemble d’œuvres qui stimulent votre regard à la limite de la saturation, tel un paysage immersif exubérant, extravagant, et bizarre constitué d’une multitude d’éléments et d’artefacts hauts en couleur réalisés à partir d’objets collectés et détournés. Ils expriment son intérêt pour le plaisir de chiner, et le souhait, dans l’idée du cycle continu, de redonner vie à un objet. Ils ont des titres-calambours espiègles et savoureux.

Ce décor, à mi-chemin entre abstraction et figuration, semble conçu par des gestes créatifs rapides et spontanés, comme un journal intime, miroir de ses humeurs, ses pensées, ses convictions. Ou encore une routine quotidienne qui se mue en protocole créatif, celui de peindre une image par jour.

La Résidence et son environnement furent propices à sa pratique, lui permettant des investigations et découvertes picturales particulièrement fructueuses pour aborder et retranscrire sous formes de narrations formelles et informelles, ses thèmes de prédilection que sont l’enfance, la trace, la liberté d’expression, et l’Amour.

Artiste généreuse, Marie-Cécile MARQUES a réalisé les portraits des autres résidents qui sont exposés dans le hall de l’Hôtel de Craon.

Jack DUNNETT, né en 1995, est un artiste écossais diplômé de la Gray’s School of Art en 2017, l’une des plus prestigieuses écoles d’art et de design de Grande-Bretagne, il vit et travaille à Glasgow.

Arrivé directement à l’Hôtel de Craon depuis Glasgow, Jack DUNNETT a dû s’adapter à un environnement bien dissemblable de celui où il a l’habitude de créer. Il confie, après avoir réalisé quelques recherches historiques sur La Rochelle, attendre de cette résidence une inspiration nouvelle guidée par une lumière du jour bien différente de celle qu’il côtoie.

Assurément, la lumière est au centre de son travail, tout simplement elle guide et rythme ses œuvres, exclusivement des petits formats.

Une peinture à toute petite échelle, qui représente la condition humaine dans sa diversité à travers une référence narrative multiple, influencée par la culture pop, le symbolisme, les archétypes. Peu importe le sujet. Des mini-récits indéfinis aux nombreuses variations qui prétendent révéler la véritable histoire à raconter : celle du spectateur. Le monde qu’ils décrivent semble obsolète de par son innocence et sa quiétude, pourtant de ces lieux surgissent des essences familières qu’il nous plaît de reconnaître.

Ni abstraits, ni figuratifs, les champs colorés se déploient dans un langage poétique et romantique. Les tableaux de Jack DUNNETT ressemblent à son auteur, pudique, ils expriment une intimité et nous ramènent à l’échelle de l’humain.

Ces pépites picturales presque silencieuses, finissent par se livrer, l’humble ambiance et l’élégante délicatesse qui s’en dégagent nous interpellent et nous ramènent au calme.

Cette dimension émotionnelle forte, fruit de l’atmosphère introspective créée par l’artiste, trouve également son origine dans sa façon très minutieuse et particulière de peindre.  Jack DUNNETT est un peintre qui fusionne les techniques de la peinture classique avec l’exploration des réactions chimiques entre les produits ménagers et les matériaux de construction – comme la brique, le plâtre, le caoutchouc – qu’il a ajoutés aux pigments.  En travaillant sur des processus qui construisent et/ou éliminent des couches, il crée des peintures qui reflètent les relations entre les marques prescriptives et les éléments aléatoires, en combinant structure et chaos. Il conçoit ainsi des textures sculpturales rappelant la pierre, auxquelles il adjoint des poches de glaçure et de vernis qui parfois débordent du cadre et se transforment en coulures translucides.

L’observation de ces tableaux qui décrivent en les sublimant des scènes et des paysages parfaitement banals, issus d’une universalité commune, fait perdre au spectateur la notion du temps, pour l’inscrire sans nul doute dans son histoire personnelle.

Texte Marianne Dollo – Commissaire de l’Exposition 

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