Quelles sont vos influences ?
Je suis très attentive à mon environnement immédiat, sans cesse à la recherche de matériaux et d’objets à collecter, assembler, détourner. J’ai ainsi transformé des stores vénitiens, objets du quotidien par excellence, pour qu’ils deviennent leur propre source de lumière.
C’est en cherchant un équivalent pictural que je me suis intéressée au polycarbonate et à sa trame verticale. Ce matériau, utilisé habituellement pour les toitures de véranda, possède des qualités réfléchissantes et architecturales que j’ai voulu investir en peinture. Il y a aussi ce contraste indéniable entre cette matière « antinaturelle » qu’est le plastique, et le fait que je l’utilise paradoxalement comme support de représentation pour figurer des cours d’eau, des flaques, des parcelles de nature.
Cette idée de dénaturation m’intéresse particulièrement, ainsi que notre relation à l’espace, et comment l’investir. L’idée du souvenir, de sa répétition et surtout le processus d’effacement par la répétition m’influencent également.
Je m’interroge en effet sur les images et objets que l’on garde des lieux que l’on visite. Il y a l’idée du « take away » qui est récurrente, mais aussi l’envie de créer des œuvres « transportables ».
Quelques exemples récents, dans l’East Village à New York, les devantures de Deli aux étalages fleuris sous bâche plastique ont inspiré ma série de voilages peints Deli Window (2019).
D’un voyage à Bali, je retiens les échafaudages en bambou que je recrée en tubes PVC tout en évoquant les « billboards » américains à l’aide d’enseignes et de projections vidéo.
En résidence à Arles l’été dernier, c’est la pierre calcaire que je travaille in situ pour créer des assemblages à l’équilibre fragile avec des chutes de pierre, du béton cellulaire et des objets trouvés (un citron, des hélices de ventilateur, une boule métallique…).
Une obsession soudaine pour certaines matières m’amène à commencer des collections inattendues. Confinée à New York, ce sont les filets fluorescents d’oranges et de pommes de terre, et les fragments de porcelaine brisée que je thésaurise sans savoir ce qu’ils deviendront !
Vos obsessions ?
Un peu malgré moi j’ai un intérêt sans cesse renouvelé pour le XIXème siècle ! En particulier les grandes explorations, dont le « Voyage en Amérique » de Chateaubriand. Ses Nuits Américaines non loin des Chutes du Niagara ont nourri tout un pan de mes recherches entre 2014 et 2018, que j’ai traduites en installations, vidéos, peintures, néons et performance, présentées au Palais de Tokyo (Appareiller, 2017) puis dans la maison de l’écrivain à Châtenay-Malabry en 2017-2018.
Le XIXème marque aussi les débuts de la photographie, la première image de la lune prise en 1839 par John William Draper, ainsi que les panoramas de Carleton Watkins que j’ai recouverts en partie à l’huile dans la série Over Watkins (2015) et Golden Watkins (2016).
Mes Octogardens sont quant à eux inspirés par les « Sailor’s Valentine », ces coffrets-souvenirs de forme octogonale remplis de coquillages exotiques collectés par les marins américains lors d’expéditions pour leurs « Valentine ».
Les illustrations de botanique et d’ornithologie d’Alexander Wilson, Pierre-Joseph Redouté ou Pierre de Pannemaeker sont le support de mes peintures sur verre.
Enfin, certaines couleurs inventées à la fin du XVIIIème – début du XIXème siècle sont devenues des sujets de peinture, comme le gris de Payne mis à l’honneur dans les monochromes Payne Shroud (2018-2020), et « Invisible green », exposition inspirée par la teinte utilisée dans les parcs anglais de la période Regency afin que les serres de jardins se fondent dans la végétation environnante.
Quel que soit le medium que j’emploie, je cherche ainsi à transposer une certaine perception du réel, guidée par un protocole qui laisse place à l’émotion et à l’imprévu. Mon travail se situe dans cette évocation constante du paysage et de l’éphémère tout en suivant une démarche conceptuelle.
Parlez-nous de l'une de vos réalisations ou expositions dont vous êtes le/la plus satisfait(e) et/ou qui vous a rendu(e) heureux(se)
Je repense souvent aux décors que j’ai réalisés pour Don Quichotte, le ballet de Kader Bélarbi au Théâtre du Capitole à Toulouse en 2017.
Le chorégraphe souhaitait imaginer la scène de rêve de l’Acte II dans un Marais et j’ai créé une toile de fond à la frontière de l’abstraction inspirée par les miroirs d’eau des Everglades en Floride et les paysages luxuriants d’une nature fantasmée.
Voir mon travail se dérouler à l’échelle du plateau était à la fois extraordinaire et très troublant, presque affolant. Lorsque mon décor a pris vie avec la musique, la lumière et surtout les « Naïades » du Ballet du Capitole en répétition, dansant entre les lianes et les mangroves, c’était un moment absolument magique.
Emmenez-nous Quelque part
J’aimerais vous emmener dans le workshop de Ken à Chinatown dans lequel je vais faire mes néons depuis 5 ans. Le sol est jonché de câbles, de stickers, de chutes de métal, de découpes colorées, de transformateurs. Le lieu a l’air délabré, il faut entrer derrière un portail métallique souvent descendu, monter un escalier sinueux, pour retrouver Ken à côté de son aquarium aux poissons fluorescents.
C’est avec lui que je suis en train de réaliser ma série Entrance, ensemble de portes « auto-portantes » à l’échelle de mon corps. Ce sont des éléments d’architectures mobiles et démontables, à l’aura saisissante, et qui personnifient l’idée même d’ouverture, de frontière et de (re-)commencement.
Légende Photo :
Acte II – Marais, 2017
Impression sur toile 9 x 16 mètres – Vue du montage, décor Don Quichotte, Théâtre du Capitole, Toulouse, 2017