Quelles sont vos influences ?
Je me nourris beaucoup de littérature. Lire est pour moi comme une chasse au trésor : j’y cherche les mots que je n’ai pas réussis à assembler pour exprimer ma pensée.
Dans les auteurs dont les phrases résonnent il y a Christian Bobin, que j’ai découverts parce qu’on m’a fait cadeau d’un de ses livres et qui depuis me suit partout, une véritable rencontre. J’y compte aussi Milan Kundera, mon premier grand amour littéraire, Saint Exupéry, Barthes, Tournier, Marcel Proust et Charles Juliet.
J’adore aller fouiller dans les détails de la peinture de la renaissance italienne et flamande, avec une attirance toute particulière pour les mains, souvent aussi importantes que la figure du sujet. Je me sens proche des lumières d’Hopper, qui me rappellent le soleil qui entre chez moi.
En fait, ce qui m’influence le plus se trouve dans la vie de tous les jours : les objets qui m’entourent, les lieux que je traverse, les gens que je rencontre.
Mes amis y sont pour beaucoup, artistes ou pas. Je me sens perméable et réceptive, ce qui constitue une source d’inspiration et d’influence notable.
Quand je m’interroge sur les rencontres qui m’ont marquées, je pense à deux personnes : mon chef d’atelier Jean-Michel Alberola, dont l’esprit cosmique me fascine et m’inspire, et ma professeure de danse Roxana Barbacaru, que je connais depuis mon enfance et qui a beaucoup joué dans la construction de ma personne. Ces présences dans ma vie me portent, et font partie des choses qui me donnent de l’élan.
Vos obsessions ?
Il y en a plusieurs qui se recoupent et se complètent.
Pour commencer, je suis obsédée par les objets. Sans collectionner au sens de vouloir posséder un type d’objet en particulier, je collectionne toute sortes de choses, que je place consciencieusement chez moi en créant des compositions sur mes étagères.
Je les chérie parce qu’ils me plaisent esthétiquement, mais aussi et surtout parce que chaque objet fait référence à quelqu’un, quelque chose, quelque part. J’incarne des souvenirs dans ces éléments, c’est une manière de les cristalliser.
Tout ce processus existe à cause (ou grâce?) à l’obsession suivante qui est : le temps. D’après Kundera, si le temps devait avoir une forme, ce serait une ligne droite. Les événements avancent irrémédiablement et se transforment en un passé intouchable et abstrait. C’est précisément cette sensation que les choses m’échappent qui me donne envie de faire, envie de dessiner. Pour être sûre d’avoir bien vu, bien senti. Pour y passer un temps que je maîtrise.
Je me demande toujours « qu’est ce qu’il reste ? » de telle expérience humaine, de telle rencontre ou de tel paysage ?
Je puise dans la masse de mes souvenirs pour les transformer en quelque chose de visible, de palpable, ça me sauve de mon marasme intérieur et de ma tendance au regret.
Il reste un élément qui participe de mes obsessions, et qui révèle les autres : la lumière. De la lumière naturelle : le soleil. Il faut qu’elle soit à mon goût (chaude, franche) pour que je prenne une photo qui me servira ensuite de modèle pour dessiner. C’est donc parfaitement incalculable. Il m’est arrivé de vouloir prendre en photo ma table de nuit par exemple, et d’attendre de très longues minutes qu’un nuage passe et laisse le soleil se déposer sur mes livres. Si le nuage ne passe pas, je ne prends pas la photo et ne dessinerais pas. Si par chance le soleil réapparait, j’aurais ce qu’il me faut pour travailler.
Parlez-nous de l'une de vos réalisations ou expositions dont vous êtes le/la plus satisfait(e) et/ou qui vous a rendu(e) heureux(se)
Mes deux diplômes des Beaux Arts, autant celui de 3e année que celui de 5e, qui ont été des moments très importants pour moi.
Cette sensation d’aboutissement, ce luxe d’avoir un espace dédié entièrement à sa pratique, et l’occasion de découvrir soi-même ce qu’on a produit pendant toutes ces années. Je fais beaucoup de petits formats, tout mon travail est rangé dans des boîtes ou dans des pochettes. C’était beau de tout sortir et de voir comment les choses fonctionnent entre elles, de découvrir des résonances insoupçonnées.
J’ai aimé réfléchir à l’espace, cet espace parfaitement vide dans lequel j’avais le droit à tout, c’était comme emménager quelque part.
C’était aussi une occasion de partage sans égal.
Emmenez-nous quelque part
Il y a cette grande maison, posée sur une colline au milieu des champs. Aucune présence humaine aux alentours, seulement la vallée, la rivière qui y coule tranquillement, les vaches qui montent et descendent la colline d’en face en soulevant la poussière sous leurs sabots.
On entend le vent dans les peupliers avant même de le sentir, la bourrasque arrive toujours avec un temps de retard sur son chant. Des hérons passent en battant lentement des ailes, des papillons s’empiffrent du nectar des jeunes fleurs.
Les détails fourmillent dans le paysage et j’ai envie de tout observer, de tout sentir. Un seul endroit m’y invite vraiment : le pas de la porte.
Assise, j’ai dans mon dos le gros ventre de la maison, devant moi l’immensité du paysage, sous mes fesses le carrelage et sous mes pieds la pierre chauffée par le soleil. Et j’y reste des heures. Où que je sois, ce lieu m’attend toujours.
Mais comme peu de gens s’y asseiront, je vous laisse le lien du site de l’Atlas des Régions Naturelles, un projet photo titanesque d’Eric Tabuchi et Nelly Monnier qui répertorie l’architecture vernaculaire française. J’y vagabonde comme si j’étais en voyage.