Quelles sont vos influences ?
Tout peut être influence, ce qui compte c’est la façon de regarder.
Avec le temps mon regard s’est aiguisé, et je suis à l’affut de tout ce qui pourrait enrichir ma recherche.
Une émission, un documentaire, un témoignage peut influencer une oeuvre.
C’est dans le quotidien que se trouvent les plus beaux sujets.
Ma série en verre soufflé appelée « Tako Tsubo » par exemple, parle du secret du syndrome du coeur brisé ou mes sabliers « Le temps des abeilles » inspirés des recherches scientifiques sur la durée de vie de ces insectes, en sont témoins.
Pour citer des influences parlantes, je pense à Kader Attia que j’ai découvert à travers des oeuvres comme « Narrative Vibrations » ou « Reflecting Memory ». Ces oeuvres qui rendent visible l’invisible.
Je pense aussi au travail de Giuseppe Penone avec qui j’ai eu la chance de travailler et déployer mes recherches durant mes trois premières années aux Beaux Art de Paris.
Je ne peux m’empêcher d’évoquer la poésie de « Ripetere il bosco » (Répéter la forêt). Cette série de sculpture qui part de l’objet fini, et remonte à sa source.
Partir d’une poutre et retrouver l’arbre qui est en elle, imaginer et recréer ce qu’il y’avait avant l’objet.
Je pense aussi au travail de Erik Van Hove que j’ai rencontré au Maroc lors de sa conférence sur le « V12 Laraki », qui à travers ses multiples collaborations réinvestit des pratiques et techniques ancestrales pour recréer un objet emblématique de la toute puissance industrielle et capitaliste.
Je me sens proche des pratiques artistiques de chacun d’entre eux, de la quête d’une perspectives différentes du quotidien afin de mettre en lumière la poésie et la beauté qui en émanent.
Vos obsessions ?
Je travaille sur l’empreinte, l’origine, l’histoire, la magie, les mythes, les rites…
Je collectionne des parcelles des sols que je chemine, comme je collectionne les lignes de vie et les empreintes de doigt des gens que je rencontre.
Mes oeuvres appelées « Prieur universel » par exemple, accumulent dans un même espace de représentation les empreintes du corps avec le sol au moment de la prière des principales religions monothéistes.
L’acte de collectionner à toujours été perçu comme quelques choses de naïf mais il est en réalité un enrichissement constant dans la compréhension des formes, des gestes et du quotidien.
Je suis aussi fascinée par la façon dont la science s’exprime graphiquement.
Les cartographies, les courbes, les radiographies, les planches d’anatomie sont autant de moyens qui enrichissent mon corpus d’expression.
Comprendre l’histoire des pays que je découvre, comment les populations s’organisent et vivent, l’influence du climat, l’influence de la vie tout simplement…
Je n’ai pas de matériaux de prédilection.
Mon travail est avant tout le fruit d’une rencontre avec une matière que je découvre et qui m’inspire dans le moment même où je crée.
La matière, ou plutôt ce qu’elle dégage, est en lien direct avec les sujets que je souhaite aborder. Les liens que je tisse avec la matière sont toujours dans un rapport honnête et logique avec ce qu’ils représentent.
Parlez-nous de l'une de vos réalisations ou expositions dont vous êtes le/la plus satisfait(e) et/ou qui vous a rendu(e) heureux(se)
Je crois que la série dont je suis la plus fière est la série des « Ciels fantasmés d’Afrique », car chaque couleur a été méritée et récompensée par un effort constant au moment de la création.
J’ai décidé de faire cette série lorsque je me suis posée la question du rêve et de la préoccupation de celui pour qui la culture de la terre est au centre de son activité. Tout d’abord parce que j’ai vu sur la route de Natitingou au Benin ces champs de coton qui permettent la production du Percale: un tissu d’une extrême pureté, une des productions majeures du pays.
Le rythme de l’Afrique est bercé par son quotidien lui-même rythmé par les éléments et la lumière. Ces tableaux de tissu représentent ces nuits de pleine lune ou l’on ne peut dormir, ces jours où l’on sent la terre porter en elle une puissance emplie de magie et de spiritualité.
Ils portent en eux la puissance du vent et de la pluie, du sable tambouriné par l’eau lors des tempêtes, mais aussi de cette terre qui se réveille et s’assèche sous les rayons du soleil dans un pays où tout finit par disparaître sous la puissance des éléments
J’ai teint chaque tissus à la main en faisant chauffer des bassines d’eau de pluie.
Les pigments proviennent de marchés d’épices trouvés sur ma route un peu comme un jeu de piste des couleurs qui a accompagné mon voyage.
La terre rouge présente sur la route des esclaves de Ouidah, le Curcuma, le gingembre et le Bissap trouvés sur les marchés d’Abomey, de Cotonou et de Dassa, et enfin l’Indigo que je suis allée chercher avec Monique, quatre-vingt treize ans, béninoise chef d’une petite communauté de femmes.
Chacune d’entre elles connaissait ma quête sans me dire où trouver cette plante si précieuse. J’ai attendu longtemps avant de savoir.
Le temps de vivre avec elles, de les comprendre, de cuisiner, donner le bain à leurs enfants, étendre le linge, balayer, vivre au rythme de l’Afrique.
Puis un jour Monique m’a dit: « tu cherche toujours de l’indigo? » elle m’a emmenée en forêt et m’a montré cette plante que j’ai frotté entre mes doigts devenus alors tout bleus. Elle m’a ensuite dit que je ne sortirais pas de cette forêt sans avoir reconnu cette plante et l’avoir trouvée par moi même.
J’ai passé deux heures au milieu des plantes avant d’obtenir ce que je cherchais, mais j’y suis parvenue.
Les conditions de créations des ces oeuvres ont considérablement joué dans le regard que je porte sur ce travail.
Ces oeuvres sont le témoin de mes émotions mais aussi de chaque rencontre et chaque étape et lieu qui ont permis de les constituer.
Rien ne m’est tombé sous la main, il a fallu mériter chaque parcelle de couleur et beaucoup de patience pour obtenir mes matériaux, chose à laquelle je n’avais jamais été confrontée en vivant en Europe.
Emmenez-nous quelque part
La mixité des cultures et des rencontres, les techniques spécifiques aux lieux et aux histoires, nourrissent et enrichissent à chaque pas et chaque pays ma création.
C’est ainsi qu’un voyage est une question. Que sont les spiritualités, les religions, les légendes, et les cultures qui, toujours uniques, toujours se répondent, dialoguent, s’opposent.
C’est dans cette logique que j’ai ouvert systématiquement ma création aux techniques artisanales rencontrées sur la route, afin d’avoir les moyens d’exprimer un passé, un présent, un futur en cherchant un nouveau sens aux outils communs.
J’ai passé six mois au Benin, berceau des croyances animistes, terre des esclaves, chargée de cette histoire qui nous concerne et qui s’exprime sans se revendiquer, sans se figer au quotidien. Accueillie par la fondation Zinsou, j’ai ainsi pour la première fois pu créer sur et avec la terre d’Afrique.
Plus jeune, j’avais voyagé en Algérie et en Egypte dont les cultures m’ont profondément marquée et ont créé durablement une recherche de dialogue personnel et artistique que mon travail a toujours évoqué.
Puis c’est au Maroc que mon regard s’est posé, où j’ai orienté mes recherches vers un échange avec les artisans du pays, tapissiers, ferronniers, tisserands, tout en restant ouverte aux rencontres qui font changer de direction.
Je souhaite aussi explorer la beauté et la pureté des paysages à travers mes voyages, comme à pu l’être le désert minéral d’Agafay, cette natures mise à nu sous son soleil puissant.
Il n’y aura donc pas un lieu mais plusieurs … et une infinité de possibilités. Ce qui compte ce n’est pas tant l’espace mais ce qu’on y trouve. C’est en ouvrant son regard et son âme que le contact et l’échange se déploient et deviennent un enrichissement permanent.
Légende Photo : Exposition “Corde Vocali”, Galerie RX, Septembre 2020