Quelles sont vos influences ?
La littérature française début XXème, le rond-point du McDo de Cagnes, du ciment dans l’aquarium, Antoine Doinel, le détective privé, les mensonges, René Daumal, les lapsus, la solitude, les cimetières, Ghérasim Luca, les feux de forêt, les allitérations, les jeux de mots, Marcel Pagnol, les rencontres fortuites, les analogies, la confusion, Picabia, internet en 1995, les jeux vidéo, pêcher le poulpe, Totor, faire du stop, faire le mur, fuguer, s’en sortir, Ferdinand, la mer, les pins, la côte, le farniente, s’en sortir, l’Italie, les mariages arrangés, la clémence, s’en sortir, Georges Duhamel, traire les vaches, tuer les poules, le coup du lapin, s’en sortir, les histoires des frères Guittard, les Pink Floyd, les douches froides, s’en
Vos obsessions ?
Les nombres pairs, les heureux hasards, les codes d’entrée d’immeuble, la culpabilité, être seule au musée tôt le matin, les corps de femme, Venise, la plaisante latence du danger, marcher au soleil, envoyer des lettres, être à l’heure, mentir, découvrir ce que l’on essaie de me cacher, marcher au bord de la falaise, la mélancolie, Alberto, un pianiste, disparaître, les glaces à l’italienne…
Je m’obstine journellement à créer les preuves d’un crime qui n’a pas eu lieu. Ce que j’essaye de créer est ce qui est là, sous nos yeux et que personne ne voit. Les formes s’offrent à moi et je m’occupe de leur attribuer une nouvelle destinée comme les jouets d’un dieu fou.
Parlez-nous de l'une de vos réalisations ou expositions dont vous êtes le/la plus satisfait(e) et/ou qui vous a rendu(e) heureux(se)
Atrocement réel en 2018.
Une installation réalisée avec l’aide de mon cousin dans la galerie de la Cité des Arts, en voici le texte :
J’en ai goûté des soleils dont le souvenir me réchauffe encore au fond de mes pires tristesses… Deux mille onze : nous étions dans l’âge des belles imprudences et quand nous avions un ami, la rage nous saisissait de le partager à tous… Elliot fut un ami délicieux, riche d’invention jaillissante, d’une gaité colorée de tendresse avec d’ailleurs toutes les ombres et les soudaines tristesses qui lui donnent son éclat le plus touchant.
Et maintenant tout est sombre et la nuit est venue, alors on sort, on avance et on se plonge dans la nature silencieuse, on s’assied sur une souche un peu humide et on regarde patiemment les feuilles d’arbres jaunes et brunes tomber inlassablement et on se dit que c’est une pluie qui ne mouille pas, que c’est une pluie nourricière et que tout cela c’est la vie parce que les feuilles en pourrissant font de l’humus, qui indéniablement aidera les jeunes pousses à grandir – et je reviens en arrière et je me demande pourquoi – pourquoi les poètes aiment tant l’automne et j’aime à croire que c’est parce qu’il y a quelque chose de pourri et que l’automne c’est essentiel pour eux puisque c’est la saison de la mélancolie et que la mélancolie, c’est le propre de l’homme.
Emmenez-nous quelque part
Il serait nécessaire de se lever tôt.
On passerait cinq bonnes minutes à faire démarrer la golf trop froide qui a passé la nuit dehors garée sous l’olivier. On verserait l’eau tiède d’une vieille bouteille d’Évian sur la pare-brise pour enlever le gel. Sur les sièges en tissu gris on ne bouclerait pas sa ceinture parce qu’on en aura pour cinq minutes de route et que de toute façon à cette heure-ci il n’y a pas de flics.
Là, on se regarderait dans le rétroviseur, nos seules paroles seraient la fumée blanche qui sort de nos bouches comme si on avait quelque chose à se dire.
D’un coup le moteur partirait au quart de tour et on descendrait la pente raide pour arriver sur la route principale.
Ce croisement est très dangereux parce qu’il n’y a aucune visibilité mais depuis peu le voisin d’en face a fait installer un miroir par la ville, alors ça facilite forcément la manœuvre.
On prendrait à droite pour remonter le chemin qui s’enfonce dans la forêt, on passe le cimetière où on est trop jeune pour connaître quelqu’un qui y est ; sur la droite virage 180° direction le Peyron.
À gauche, il y a le terrain avec les deux chevaux qui dormiraient encore, l’herbe serait toute blanche, c’est toujours comme ça l’hiver ; un peu plus loin la maison-bulle calquée sur celle d’Antti Lovag, création d’un fanatique oublié ; on arrive au rond-point.
On prendrait un café brûlant pour faire remonter la température, on irait chercher au fond des poches quelques pièces pour un paquet de cigarettes à 11 francs et on souhaiterait une bonne journée au patron direction le village.
On laisserait la voiture sur le parking pour une heure d’ascension. Le sentier est calcaire, il ne faudra pas perdre de vue les marques jaunes pour arriver sur le plateau. Et là on pourrait s’assoir les pieds dans le vide, on allumerait une cigarette, on pourra même voir les avions qui se posent sur l’eau dans le ciel rose, et, constat brutal et trop amer, on se dira que nos petites tragédies sont si douces qu’elles nous font croire à un destin hors du commun alors qu’au fond personne n’échappe pas à la conscience de sa propre médiocrité.
Légende Photo :
Atrocement réel, 2018, feuilles mortes, bûche, cire, émulsion photosensible sur minéral, dimensions variables © Carmen Barea