L’atelier « Le Houloc », association loi 1901, a été créé en 2016 par un ensemble d’artistes émergents, pour la grande majorité d’entre eux issus des Beaux-Arts de Paris et désireux de travailler ensemble. Installé dans une ancienne menuiserie de 460 m2, il regroupe 17 artistes avec des pratiques singulières et variées (la sculpture, la photographie, la peinture, l’écriture, mais aussi l’installation et la vidéo).
Cet éventail pluridisciplinaire est le fondement de l’état d’esprit des protagonistes animés par une volonté farouche de mutualisation, eux diraient plutôt mise en commun, de leurs compétences, mettant ainsi leurs complémentarités au service de la création et de la créativité.
Je leur ai proposé d’illustrer cette posture revendiquée, sous les traits d’une nouvelle forme d’expression, celle de l’Interview. Une seule interview pour les 17 plasticien.ne.s, chacun.e une question. Preuve de leur solidarité indéfectible, tous ont accepté sans exceptions. Vous allez découvrir les inspirations et aspirations si différentes de ces 17 talents, et mesurer l’influence bienveillante et inspirante du Houloc, qui en devient ainsi très naturellement et unanimement le 18 ème pensionnaire !
1 Qui es-tu et quel est ton parcours ? Marta Budkiewicz
Je suis née en Pologne, où j’ai fait ma première formation en musique, puis je suis arrivée en France pour entrer aux Beaux-arts de Paris. J’ai eu l’immense chance d’être dans l’atelier de Giuseppe Penone pendant les cinq années de mes études. Aujourd’hui je mène ma pratique artistique et j’enseigne en parallèle. Pour élargir mon champ de recherches plastique et théorique, j’ai entrepris un travail de thèse qui concerne le son et sa relation inscrite dans le temps à travers les supports d’enregistrements, les vestiges sonores en quelque sorte.
Je suis arrivée au Houloc en 2017 et je suis très heureuse d’en faire partie en tant que membre permanent !
2 Quelles sont tes sources d’inspiration ? Raphaël Tiberghien
Comme beaucoup d’artistes de ma génération, j’aime combiner les genres et les registres, de façon à concevoir mon travail comme un espace de mise en cohérence de fragments qui autrement pourraient sembler épars. Je m’inspire du rythme des poèmes de Vladimir Maiakovski, des gestes élémentaires de la statuaire préhistorique, de la rhétorique de nos dirigeants politiques, de l’ironie des œuvres de Marcel Broodthaers, de la matérialité brute des roches et des sédiments. Et je m’inspire aussi énormément de mes échanges avec d’autres artistes contemporains, que ce soit au travers de leurs œuvres, sans forcément les rencontrer, ou par le biais des discussions qui ont lieu notamment à l’atelier. C’est pour cela qu’à mes yeux le Houloc est un espace si important : c’est un lieu où l’on fabrique, mais aussi où on reçoit énormément.
3 J’aimerais en savoir plus sur ta pratique, comment travailles-tu dans ton atelier ? Romain Vicari
Mon travail se construit autour de l’espace et de l’architecture. Inspiré par les matériaux de construction, les matières, les échelles, la relation d’un corps à un lieu, la notion de territoire, et sa relation à l’intime ou au public sont des thèmes que j’aborde. Cette réflexion se fait à l’atelier, mais aussi à l’extérieur, dans des lieux publics, des lieux abandonnés ou délaissés, souvent dominés par une végétation anarchique qui prolifère au fil du temps. Dans une démarche quasi-scientifique, empruntant à la botanique comme à l’anthropologie, mon travail plastique fonctionne comme un laboratoire de recherche éphémère. La proximité́ physique avec l’espace met en place souvent dans la galerie des œuvres composées d’éléments hybrides, ainsi qu’une influence de la modernité tropicale.
4 As-tu des rituels ? Travailles-tu en silence ou en musique ? Timothée Dufresne
Pour ma part, aucun rituel, chaque projet amène son rythme propre. Comme je ne privilégie aucune technique particulière je dirais qu’il y a des “moments” différents au cours du processus de création.
La musique bien sûr ça peut être très important … j’aurais tendance à écouter la même musique en boucle jusqu’à épuisement. Tout dépend des gestes et des décisions à prendre pendant qu’on travaille mais on peut bien comparer ça à une forme de méditation, donc le silence est aussi bienvenu. Cela m’arrive souvent d’écouter des émissions de radio … des gens qui parlent pendant que je travaille ça me fait du bien. Le philosophe Clément Rosset par exemple.
Pas vraiment de rituel, donc pas vraiment de règles nettes…
Mais s’il arrive qu’une journée ait pu produire quelque chose d’intéressant ce qui n’est pas si fréquent, je suis plus enclin à écouter de la musique, très fort et danser tout seul. Psycho killer des Talking Heads c’est bien pour commencer.
5 Comment définis-tu ton approche artistique ? Audrey Matt-Aubert
Mon approche graphique et picturale s’est développée depuis quelques années autour de motifs architecturaux allant de ruines célèbres (comme la porte d’Ishtar, ou le temple de Pergame) jusqu’aux constructions modernes. Plus récemment sculpture et gravure ont fait leur apparition dans mes dessins. Il m’arrive souvent de procéder par citations et d’aller emprunter images et figures à la littérature, la peinture ou la sculpture. Les sources sont variées : de la peinture de la renaissance de Francesco Del Cossa à la sculpture contemporaine de Sol Lewitt en passant par les gravures des encyclopédies du XIXème siècle ou les collages de Max Ernst. Les titres et légendes jouent un rôle stimulant dans mon processus créatif : à partir d’un extrait de poème, d’un fragment de texte, j’imagine une série de dessins ou de peintures. Très fréquemment, des auteurs comme Italo Calvino me viennent en aide pour trouver un point de départ devant la feuille blanche.
6 Quelle utilisation fais-tu des couleurs ? Quelle symbolique y mets-tu ? Camille Le Chatelier
Mon approche de la couleur est très liée aux matériaux que j’emploie. Je l’appréhende comme si elle était révélatrice d’un état ou d’un comportement. Un peu comme une sorte d’indicateur. Je travaille avec des colorants végétaux, ou de l’émail. Et c’est assez jubilatoire d’assister aux transformations dont ces matériaux sont capables. Une couleur végétale se décompose en plusieurs autres, un émail en se vitrifiant et en s’oxydant laisse apparaître les éléments qui le composent, change d’état … Je l’utilise rarement de manière ornementale ou symbolique. Bien souvent elle a une valeur active et continue d’évoluer au cours du temps. J’aime particulièrement travailler avec le chou rouge, qui est une matière réellement vivante et changeante. Le pigment qui la compose se métamorphose en fonction de la nature chimique du milieu dans laquelle elle se trouve. Sa réactivité au soleil en fait un superbe médium photographique. Et un support d’expérimentation très riche.
7 Un disque ? un livre ? un film ? Célia Coëtte
Je vais en quelque sorte éluder la question, tant il y a à citer. Pour le disque, je dirais les afro-samba de Baden Powell, pour le film, Construção de Chico Buarque, et pour le livre, Melody Nelson de Gainsbourg.
8 Un personnage de fiction auquel vous vous identifiez ? Hugo Ferretto
Je pense à Paul Atréides, héros des romans de sciences fictions “Dune” de l’écrivain Frank Herbert. Et à son adaptation au cinéma par David Lynch. Il y a quelque chose de l’ordre d’une quête philosophique chez ce personnage qui me touche. L’idée d’une matière qui stimule l’esprit : l’épice. Paul devient Muad’Dib, Chef d’une révolution qui embrasera toute la galaxie. Ce n’est pas tant l’idée du chef révolutionnaire que les moyens de cette révolution et l’ambiance de ce film qui m’interpellent. Les armes de cette armée sont faites d’une technologie qui transforme le son, la voix en projectiles puissant. Paul comprend que son nom est une arme. J‘aime bien cette analogie sur la force du langage.
9 Un objet fétiche ou important ? Mathilde Geldhof
L’œuvre Bessonne, réalisée en collaboration avec Camille Le Chatelier.
Elle est née après que j’ai retrouvé le négatif d’un portrait que j’avais fait de Camille lors de nos études aux Beaux-Arts. Je lui ai proposé de travailler ensemble à un objet qui accueillerait ce portrait. L’amitié qui nous lie a induit que la pièce transposerait cette intimité. Nous avons réalisé une « boîte à portrait » qui tient dans la main et peut être portée sur soi. Le double traitement de la photographie, « altérée » à l’extérieur, « intacte » à l’intérieur aborde les questions du souvenir, de la réminiscence et de l’attachement que véhicule l’image d’un sujet qui nous est cher. Sur la photo, Camille elle-même tient dans ses bras un objet, dont la nature est mystérieuse. Il s’agit d’un morceau d’une de ses œuvres en métal, Chimère.
Je me demande si chaque artiste ne voit pas dans son travail des fétiches.
10 On naît artiste ou on le devient ? Jean Claraq
J’ai l’impression qu’à travers cette question c’est le sujet de l’inné et de l’acquis qui apparaît. C’est un curseur très difficile à placer pour moi. C’est davantage des scientifiques travaillant sur la phylogenèse ou l’éthologie qui sauraient apporter de solides éléments de réponse. Pour ma part et en toute subjectivité je crois davantage que le contexte et l’histoire personnelle vont pousser des individus vers les métiers de la création. Mais pourtant je m’étonne de la capacité physique de percevoir ou à l’inverse son incapacité. Et alors, je me demande dans quelle mesure nos sens sont aiguisés par notre patrimoine génétique ou par notre histoire personnelle. Probablement un mélange des deux.
11 Le choix d’embrasser cette carrière a-t-il été difficile ? Flavie L.T
Le choix d’être artiste s’est fait pour moi par étape, progressivement. Il s’est affiné au cours de mes études et de mes expériences. Avec le recul, je trouve une vraie cohérence entre cette orientation que j’ai résolument prise et les aspirations qui m’étaient chères.
Cela représente pour moi la possibilité de garder une curiosité envers des domaines aussi variés que la philosophie, les sciences, la littérature ou encore les techniques.
Cela me permet également de concevoir et de réaliser des objets avec toute la précision que je leurs souhaites : trouver le point d’équilibre entre les moyens d’élaboration de l’objet, la forme et le questionnement que je veux amener. C’est également la satisfaction de pouvoir mettre en relation et de travailler avec des domaines de compétences extrêmement différents. C’est aussi la possibilité de m’enrichir de la connaissance d’autres cultures tel que récemment lors de résidences en Asie.
12 Une chose que vous aimeriez savoir-faire ? Lenny Rébéré
Je ne dirais pas qu’il y a une chose précise que j’aimerais savoir faire, mais plutôt un ensemble de beaucoup de choses : je préfère l’idée du touche-à-tout que celle du spécialiste. C’est important pour moi au regard de mon travail artistique de pouvoir mélanger différentes techniques de création, et de se permettre d’évoluer en continuant d’apprendre des choses au fur et à mesure de mes envies et de mes projets.
Par exemple, je suis doucement en train de m’essayer au code informatique afin d’automatiser certaines œuvres, mais j’ai autant envie d’apprendre la forge, de souffler du verre, que de faire de la création sonore…
Tout dépend des rencontres et des idées qui germent au fil du temps, mais l’intérêt est de rester curieux pour des choses que l’on ne maîtrise pas, de se donner la possibilité d’essayer, et pourquoi pas d’apprendre toujours un peu plus.
13 Vous sentez vous féministe ? (Si oui en quoi cela joue-t-il sur votre travail) Mélissa Boucher
Féministe, absolument C’est pour moi avant tout un combat de tous les jours celui de la lutte pour l’acquisition des droits et la considération des femmes, du dépassement de la distinction de genre et d’une façon plus large celui de la valeur du travail de l’artiste, et des artistes femmes bien sûr.
Par ailleurs, mon engagement féministe n’est pas précisément le sujet de mon travail, même si j’espère qu’il transparaît quelque part dans ce que je fais et ce que je suis.
Concernant mon travail, je réfléchissais récemment à l’apparition surprenante du rose dans mon travail. C’est assez paradoxal, car j’ai longtemps fui et écarté le rose d’emblée de ma gamme de couleurs et même de ma garde-robe, peut être car quelque part considéré trop « féminin », trop lié à un marqueur de genre. Et il se trouve que je suis pleinement dedans depuis quelque temps avec un travail d’émulsions végétales évanescentes en cours, notamment à base de betterave. Curieusement c’est une couleur qui aujourd’hui a pris une place importante dans le développement de mon travail et dont les teintes me semblent essentielles, ambiguës et intrigantes.
14 Faut-il évoquer la période de confinement et son impact sur ta création ? Mikaël Monchicourt
Je ne peux pas vraiment dire que la période de confinement a eu un impact sur ma pratique. J’avais du matériel avec moi mais je n’arrivais pas à travailler malgré les tentatives. J’ai lu et passé beaucoup de temps avec ma fille. J’ai aussi trié des années d’archives que j’avais sur mes disques durs ce qui m’a permis de faire le point et de me rendre compte de cohérences entre certains travaux.
Cette période m’a permis de me rendre compte de deux choses : d’abord que j’étais de ces artistes qui ont vraiment besoin d’être dans leur atelier pour travailler mais aussi pour discuter ou simplement flâner. Et c’est vrai qu’en temps normal j’y suis tous les jours. J’ai aussi réalisé, du fait d’en être coupé, à quel point Le Houloc était un lieu et un environnement inspirants.
15 Dire à un moment pourquoi vous aimez le travail de l’autre, ce que cela déclenche chez vous : Ulysse Bordarias
J’aime le travail de l’autre pour plusieurs raisons. Quand il fabrique un objet qui éveille chez moi des émotions proches de celles que j’aimerais faire surgir, par familiarité. Ce n’est parfois qu’une étape ou une esquisse pour elle ou lui…Parfois c’est l’ensemble.
Je suis admiratif de son travail lorsqu’au contraire il me montre des voies si différentes de mes champs de recherche que je redécouvre (l’atelier Le Houloc est propice à ça) la profusion d’attitudes, de types d’interactions, d’expressions qui rendent si vivant le monde artistique. Il m’inquiète quand il me montre l’intérêt d’une voie que je n’ai pas choisie, et qu’il m’expose par ce biais les faiblesses de mes élucubrations. Ou quand je m’imagine que j’aurais peut-être pu être l’autre, mais que certains choix irréversibles font bien de nous deux personnes distinctes. Et j’aime son travail pour ça aussi.
16 Que n’échangeriez-vous pour rien au monde ? Mathieu Roquigny
Mes enfants ! et … mon Zippo. Ah oui, aussi je ne voudrais pas échanger Patrick Swayze dans son rôle dans le film Dirty Dancing, ni d’atelier !
17 Quelle profession rêviez-vous d’exercer lorsque vous étiez enfant ? Lise Stoufflet
Je suis passée par pas mal d’envies différentes. Dans celles dont je me souviens il y a eu fleuriste quand j’étais toute petite, photographe du ciel parce que j’ai toujours été très émue par les couchers de soleil que j’essayais sans cesse de capturer (un projet vite avorté réalisant que même la plus belle photo n’égalera jamais la puissance céleste), et puis chirurgien parce que j’avais été emballée par les dissections de souris et autres grenouilles pendant mes années de lycée.
Le Houloc – 3, Rue du Tournant -Aubervilliers 93300