Quelles sont vos influences ?
En littérature : Proust et Beckett qui sont certainement des opposés totaux.
En philosophie : Nietzsche, Deleuze, Foucault.
En cinéma : y en a trop, je passe. Disons que 2001 est pour moi le sommet.
En musique : Bach, Ligeti, tout ce qui est textural. La musique russe du XIXème et par-dessus tout Mussorgsky : Les Chants et danses de la mort par Ana Lipovsek, la techno minimale de Richie Hawtin, les jeux de gorge inuit, les chants diphonyques, les voix bulgares, les chants balinais… tout ce qui est a capella, aussi les bruits dans la forêt (j’habite à Fontainebleau) … l’orgue et la harpe.
En peinture, y a des chefs d’œuvre qui m’ont blessée de beauté. A chaque fois, j’essaie d’en atteindre la cheville : Bosch pour l’univers, Miro pour la liberté, Kandinsky pour la joie, Picasso pour l’efficacité, Dali pour la technique. Pour l’intensité émotionnelle : les icônes orthodoxes et les primitifs italiens et français avec un amour sans bornes pour Enguerand Quarton et cette explosion atomique qu’est le Couronnement de la Vierge. Pour ce qui est des formes, je suis passionnée d’anatomie topographique, de microbiologie et de vie aquatique, mais ces sources d’inspiration n’auraient pas lieu d’être sans le point de départ : un travail d’écriture que j’entreprends depuis 2005 et qui s’intitule Celui que je suis. C’est un ensemble de textes comprenant fictions, essais et poèmes, que je mets en images dans mes peintures, dessins et sculptures.
Vos obsessions ?
Qu’il s’agisse de mon travail plastique ou littéraire, le jeu est de partir de l’un pour que l’autre le dépasse et ainsi l’enrichisse. Par exemple, je mets en image, comme cela arrive souvent, la manière dont les pensées et les souvenirs du personnage de mes récits, toujours le même : l’Hui, vont se croiser, s’enchevêtrer, ou bien s’espacer… Cela ressemble souvent à des fils et ces fils sont tirés, attirés, portés, démêlés, échevelés, … par de petits personnages : mes agents.
Ils ont parfois des silhouettes humaines, parfois ce sont des créatures plus étranges. S’échafaude donc un paysage bordé de lianes ou autres, et de nombreuses petites bêtes qui viennent organiser tout ça.
Lorsque la peinture est terminée, je la décris et elle s’ajoute au récit qu’elle était censée illustrer. Par le travail de description, naissent d’autres pensées qui à leur tour demandent à être rendues visibles, etc., etc.
Sinon visuellement je suis obsédée par une représentation de l’intérieur du corps comme lieu imaginaire avec tout le vocabulaire de la chirurgie et des plans de coupe. J’avais un aïeul chirurgien le Dr Bilhaut, est-ce que ça a joué ???
Parlez-nous de l'une de vos réalisations ou expositions dont vous êtes le/la plus satisfait(e) et/ou qui vous a rendu(e) heureux(se)
Y en a plein ! J’aime tout ce que je fais. Je suis ma première fan. Je crois ma pièce préférée, celle que j’aurais voulu me payer et mettre dans mon beau salon c’est le Nexus sur fond noir Hommage aux Marrons. Déjà parce que ça a été un trip de ouf cette peinture. J’avais une énergie dingue et tout s’alignait devant mes yeux au dernier moment pour prendre forme. J’en suis très fière et j’aimerais le revoir.
C’est une chance de vendre ses œuvres mais c’est aussi frustrant de ne plus jamais les revoir. Ça m’est arrivé de vivre avec tout le temps de leur conception donc un mois, un mois et demi et le lendemain ciao ! Une expo que j’aimerais vraiment voir un jour ce serait tous mes Nexus réunis.
Voilà, mais sinon d’un point de vue technique, je balbutie à l’huile et là je me rends compte de ma petite toute petitesse…L’huile c’est super super riche. Les couleurs sont d’une générosité ! Mais c’est aussi un maître sévère.
Emmenez-nous quelque part
Je vous copie-colle un morceau du premier chapitre de Celui que je suis :
“7 janvier 2006
Ca fait environ trois semaines que je vis dans ce studio, rue de Naples qu’une association d’aide aux étudiants m’a dégotté. Une chance. Je suis partie de chez mes parents depuis un mois et j’ai vécu chez les uns et les autres.
C’est un rdc sur cour sombre et humide avec vue sur les poubelles. Il y a peu de meubles. Seulement une grosse table en bois massif comme on en voit dans les maisons de campagne, un banc aussi long que la table, un lustre en plastique argenté suspendu au-dessus. Les murs sont en crépit crème-gris. Le sol, en carrelage. Je dors sur un futon. Le propriétaire m’a dit qu’on s’y faisait au bout d’un moment et que c’était très bon pour le dos.
Il y a un supermarché à côté du studio. Je vais faire les courses 1 fois par semaine : pâtes, haricots verts en boîte, chocolat de cuisine, yaourts, jus d’orange.
Je suis en 4ème année des beaux-arts. Le matin, je me lève à 6h parfois 5h30. Je m’habille, toujours de la même manière avec des vêtements amples et des chaussures plates. J’ai pris dix kilos et je ne fais plus attention à ça. Puis, je mets ce grand manteau noir en laine que j’ai à l’époque et qui me permet de rester un minimum présentable. J’ai eu 24 ans il y a peu.
Quand je sors de l’immeuble, la porte se referme rapidement derrière moi.
Le matin dès que je sors, même si dans ma vie je ne me suis jamais sentie aussi mal, on peut dire que ça va.
Je me souviens d’une de ces matinées d’hiver où il avait neigé où je m’étais levée très tôt comme d’habitude. Je descendais la rue du Rocher pour rejoindre le boulevard Haussmann puis la place de l’Opéra. Le jour ne s’était pas encore levé et la lune sur le point de disparaître était encore lumineuse. La blancheur du trottoir enneigé donnait une clarté particulière, surréelle à ce jour naissant qui fit disparaître de ma mémoire tous les autres matins de cette époque-là. Pour une fois, je me suis dit que cette présence oppressante toujours là, à quelques pas derrière moi, dès que je sortais dehors, devait être contente de faire une si agréable promenade.”