Quelles sont vos influences ?
Il y a l’idée d’Agnès Martin selon laquelle « la vie d’un artiste est inspirée, autosuffisante et indépendante (…) Elle donne une impression de révolte mais, en réalité, c’est un mode de vie inspiré ».
J’ai été très marquée par les Écrits sur l’art de Rothko, ceux de Joseph Beuys, Par la présente je n’appartiens plus à l’art. Il y a des œuvres d’art qui me fascinent, comme La Tristesse du roi de Matisse.
Je viens de Bretagne, j’ai grandi accompagnée par des récits de navigation, de tempêtes, d’attente, par de longues promenades au bord de l’océan. Évidemment les vagues sont une métaphore du temps, de la répétition infinie, elles sont aussi très premier degré dans mon travail. Je crée pour rendre compte d’un rapport direct aux mécanismes naturels, c’est une manière de la comprendre, de l’accompagner, de s’accorder à son rythme.
Vos obsessions ?
Je travaille à partir d’expériences concrètes du réel. Ces expériences prennent leurs points de départ dans l’exploration d’un lieu, l’étude d’un objet, le récit d’un voyage. J’archive beaucoup d’éléments dans des carnets (heures, lieux, notes, extraits de lectures). À partir de cela je mets en place un langage, une reconstitution à partir de fragments. J’aime constituer des archives, réunir les éléments entre eux, trouver un ordre et mettre en place des solutions concrètes pour rendre compte de la temporalité d’un espace.
Ce qui me plait c’est d’entretenir un dialogue entre une pratique d’atelier et la réalisation de dispositifs in situ. Ce dialogue me permet de mesurer les cadences du réel. J’aime que les œuvres soient parfois les archives d’événements et d’autre fois leur annonce.
Il y a bien une idée qui m’obsède, celle que les objets que nous faisons sont comme des bouteilles à la mer. Par elles, nous accédons à d’autres espaces-temps, des lointains qui se rapprochent, naviguant entre ciel et terre.
Parlez-nous de l'une de vos réalisations ou expositions dont vous êtes le/la plus satisfait(e) et/ou qui vous a rendu(e) heureux(se)
L’exposition de janvier 2020 que j’ai organisée à la Cité Internationale des Arts pour le lancement de la deuxième édition de la Publication d’art non linéaire (PAN). Les éditions nous rassemblent, artistes, danseurs, théoriciens, écrivains, architectes, scientifiques. Nous créons une œuvre collective et organisons des rencontres, des performances, des expositions.
Nous devenons progressivement un collectif constitué par une pensée artistique multiple, réunie.
La deuxième édition a rassemblé plusieurs champs de recherche autour de l’idée de « reconnaissance ».
Extrait de l’éditorial de PAN II écrit par Alizée Gazeau : « (…) Il faut connaître cette terre où nous vivons, commencer en acceptant « l’absolue non-réponse, c’est à dire l’infini »1;, c’est à dire « l’infini sans chemin »2.
Nous reconnaitre les uns face aux autres c’est définir de nouveaux termes pour créer un langage qui nous réunira autour de problématiques actuelles, de réflexions et d’œuvres collectives. Déjà en 1978, Nelson Goodman écrivait qu’il ne suffit pas de « prélever de l’eau en des endroits dispersés, il faut plutôt coordonner les échantillons »3.
Emmenez-nous quelque part
Une ile est une hétérotopie a écrit un ami au moment de l’exposition « Heureux qui comme Ulysse ». Je découvrais la Grèce l’année suivante, Ikaria, une île dans la mer Égée. Ce voyage a modifié ma perception du monde. Notre terre est une île immanente encadrée par la mer. J’ai depuis lors, tenté de trouver des solutions pour rendre compte de cette fragmentation du réel. Je viens de terminer la réalisation d’une sculpture, Archipelago I, constituée de pièces en losanges de bois sculpté, de verre, de grès porcelainique. Elle évoque l’insularité d’un territoire composé de fragments. Elle est, aux côtés d’autres œuvres, le résultat d’un travail de plusieurs mois, centré sur un extrait de John Donne, No man is an island entire of itself.
1 Simon Hantai, « Je veux l’absolue non-réponse, c’est-à-dire l’infini »
2 Pablo Neruda, Né pour naitre
3 Nelson Goodman, Manières de faire des mondes