Les dessins de Lenny Rébéré ont intercepté mon regard, presque malgré moi, avec une rare fulgurance.
Une inhabituelle première captation visuelle et esthétique instantanée qui m’a donné le désir d’aller au-delà, de m’approcher davantage et de tenter peu à peu de discerner, de pénétrer, et pourquoi pas de comprendre ce qui m’était offert d’observer.
Ce travail, peut-être faut-il l’aborder à partir du parcours de Lenny, de sa formation à l’école Estienne qui lui a permis de se former à la gravure et à son extrême exigence ; de son appartenance à la Génération Y, à sa culture numérique, à son instinct des images et à son goût pour leur archivage.
Quand un corpus tient lieu de carnet de croquis : les images sélectionnées, souvent extraites de leur contexte originel, sont imprimées. Lenny va dessiner des contours pour œuvrer à une mise en écrin qui provoquera mélange et gommage des sources, jusqu’à l’indiscernable. Un travail de déconstruction.
Cette recomposition du sujet jamais ne le fige. Elle l’ouvre à l’interprétation, en suspension, offert à nous, invités à rêver ces œuvres sans titre. Maîtrise de la conception, liberté de l’imagination. Il faut s’abandonner à ces histoires à tiroirs, énigmatiques, mystérieuses, ambiguës. Des scènes du quotidien dont l’artiste nous encouragerait à devenir des protagonistes.
Lenny dessine. Lenny construit des perspectives rigoureuses. Mais surtout Lenny joue avec la lumière ou avec l’image dans toutes ses dimensions plastiques, esthétiques, symboliques, spatiales et narratives.
Curieux et attentif, je vous parle d’un artiste qui aime avant tout expérimenter. Un artiste capable d’investir avec la même rigueur différents médiums, le papier bien sûr, mais aussi la toile et plus récemment le verre.
La confrontation audacieuse avec ce nouveau matériau s’inscrit cependant dans la continuité de son travail : on y retrouve en particulier la question de l’anachronisme, l’un des fils conducteurs de son travail, qu’on songe à la dialectique du dessin au fusain et à l’instantanéité des images. Elle revient plus radicalement avec ce verre gravé de façon très physique et le changement de statut de l’image permettant une déclinaison de l’œuvre en installation dans l’espace d’exposition, aussi vaste soit-il.
En effet, il faut insister sur la place centrale qu’occupe l’architecture dans les compositions de Lenny. C’est la récurrence du motif de la scène de théâtre et ses attributs : un lieu, un décor, des personnages. C’est la rémanence du milieu urbain avec ses foules, ses immeubles, son métro. L’enjeu de l’espace revient encore avec sa proposition « Rituels, du bleu, du ciel » alors qu’il imagine et projette des installations à l’échelle 1 accompagnées de vidéos et zones de déambulations.
Des références ? Quand j’insiste, Lenny si prudent et si pudique me confie son admiration pour Sigmar Polke, pour son expérimentation de la transparence et sa reprise des images mais aussi tous les membres du réalisme capitaliste en général. Dan Graham pour ses installations vidéo et ses vitrines en verre, Michael Borremans pour sa touche et l’atmosphère de ses peintures au même titre que Tim Eitel ou Guillaume Bresson fidèles à leurs univers respectifs. Impossible, dit-il de se sortir de la tête la récente rétrospective de Cy Twombly à Beaubourg.
Lecteur assidu, pour ne pas dire vorace, Lenny lit beaucoup. Son livre de chevet “L’homme-boîte” de Kôbô Abe était le thème de son mémoire de fin d’études.
Pétrole, ce roman inachevé de Pasolini l’a beaucoup marqué, il y a découvert des liens avec ses dessins dans la construction du récit, l’imbrication complexe de scènes où les temps se mélangent. Le caractère cru lui a donné de nombreuses idées d’ambiances. Plus récemment, il achevé la lecture de toute la bibliographie de Georges Didi-Huberman et « L’expérience intérieure” de Georges Bataille, Walter Benjamin … pour ne citer qu’eux.