Le jeu de Paume rend hommage à l’une des plus grandes photographes du XXI ème Siècle, icône vivante, ainsi déclarée cette année par le New York Times.
En effet, depuis plus de quarante ans, Sally Mann (née en 1951) réalise des photographies expérimentales à la beauté obsédante, souvent dérangeante qui explorent les fondamentaux de l’existence : mémoire, désir, mort, liens familiaux, la nature versus les hommes.
L’unité de ce vaste corpus, portraits, natures mortes, paysages, repose sur un unique lieu : le Sud des États-Unis en Virginie dont elle est originaire, et plus particulièrement Lexington, point commun avec son ami, le grand Cy Trombly.
Elle partage ainsi avec nous sa vie presque quotidienne. Sur chacune de ses photographies l’on sent son attachement viscéral pour sa terre natale.
Ainsi, elle offre au spectateur des fenêtres sur son héritage historique complexe et souvent douloureux.
Elle interroge avec force et provocation l’histoire de cette terre, sur ses femmes et ses hommes. Les thèmes de l’identité, la race et la religion sont traités sans concessions, avec gravité, mais toujours avec son sens inouï de la beauté et de la pureté.
Cette exposition qui est la première rétrospective majeure de cette artiste internationalement reconnue en France a été imaginée par deux commissaires d’exposition : Sarah Greenough and Sarah Kennel. Elle s’organise en cinq parties.
Elle est dotée de nombreuses œuvres inconnues du public ou inédites.
«Cette rétrospective constitue à la fois une vue d’ensemble de l’œuvre de l’artiste sur quatre décennies et une fine analyse de la manière dont le legs du Sud, à la fois patrie et cimetière, refuge et champ de bataille, transparaît dans son travail comme une force puissante et troublante qui continue de modeler l’identité et le vécu de tout un pays».
Elle publie en 1992 soixante de ces images dans un ouvrage intitulé Immediate Family (Famille immédiate). A l’époque, l’inclusion de photos de ses trois enfants nus dans la nature choquent profondément et douloureusement.
Partie 1 : Famille
De 1985 à 1994, alors qu’ils séjournent dans leur chalet d’été dans la vallée de Shenandoah, Sally Mann photographie ses trois enfants, Emmett, Jessie et Virginia. Elle crée des images qui évoquent la liberté et la quiétude de jours paisibles consacrés à l’exploration de la rivière et des champs qui environnent le sanctuaire campagnard de la famille.
Contrairement aux apparences, ses photographies sont le fruit d’une préparation minutieuse et d’une exécution rigoureusement contrôlée. Elle collabore avec ses enfants et les met en scène comme des tableaux, en leur demandant de poser tout en s’inspirant de leurs attitudes spontanées. Les photographies qui en résultent mêlent donc réel et imaginaire, mais Sally Mann a écrit que « la plupart portent sur des choses ordinaires que toute mère a eues sous les yeux ».
Partie 2 : La terre
Au début des années 1990, Sally Mann cesse peu à peu de photographier sa famille pour se consacrer au paysage environnant, forêts, collines, cours d’eau, plaines, car elle est, selon ses propres mots, « prise en embuscade par les paysages ».
Partie 3 : L’ultime et pleine mesure
Dernière demeure de Stonewall Jackson et de Robert E. Lee (Généraux des armées des États confédérés d’Amérique), la ville de Lexington est enracinée dans le passé, façonnée par l’histoire de l’esclavage et de la guerre de Sécession. L’artiste a travaillé sur la mémoire de cette terre.
Elle a recours au procédé « du collodion humide » utilisé au xixe siècle, en conservant tous les défauts, les imperfections, les rayures, craquelures et autres écaillements de l’émulsion dus à ses manipulations du collodion, qui ajoutent à ses images une résonance métaphorique.
Partie 4 : Demeure avec moi
Au début des années 2000, Sally Mann entreprend une réflexion introspective et s’emploie à examiner la manière dont la question raciale, l’histoire et la structure sociale de l’État de Virginie ont façonné́ non seulement le paysage, mais également sa propre enfance et son adolescence.
Partie 5 : Ce qui reste
Sally Mann a beaucoup travaillé sur la mort et le cheminement qu’elle implique : la condition de mortel, la vieillesse, la douleur, la fragilité de la vie et de la famille. Ces images reflètent sa conviction selon laquelle on ne peut pleinement apprécier la vie qu’en regardant la mort en face. La mort, a-t-elle déclaré, est « l’élément catalyseur d’une appréciation plus intense de ce qui nous est offert ici et maintenant ».
En 2004 elle réalise une série de portraits énigmatiques de ses enfants, alors jeunes adultes. Intitulées Faces (Visages) et réalisées au plus près du sujet, avec une exposition longue (jusqu’à trois minutes), ces images grand format, légèrement floues, rappellent de façon troublante les photographies post- mortem du XIX ème siècle.
Elle braque également son objectif sur son mari, Larry, atteint d’une forme tardive de dystrophie musculaire et entreprend de saisir les changements de son apparence physique provoqués par la maladie dans une série intitulée Proud Flesh (Chair exubérante), locution qui désigne chez les équidés le tissu cicatriciel se formant sur une blessure.